MUSIQUEAu secours! Le reggae est devenu une musique respectable et respectée

Il faudra bientôt trouver autre chose que vos blagues sur les gros pétards, les cheveux sales, les chiens qui puent et les jonglages de diabolo pour vous moquer de votre pote fan de reggae. Parce qu’en 2017, le reggae, c’est branché. Vous ne l’aviez pas vu venir ? Hé ben il va falloir vous y faire.

Inaugurée début avril, l’exposition Jamaica, Jamaica de la Philharmonie, à Paris, a réalisé un démarrage record de fréquentation. Lors du vernissage se pressait ainsi tout ce que Paris compte de hipsters et autres influenceurs musicaux pointus. On exagère à peine. Commissaire de l’exposition, Sébastien Carayol ne peut que s’en féliciter. « Il y a un fossé énorme entre ce que le grand public connaît du reggae et ce qu’a apporté cette musique.

Mais c’est vrai qu’en ce moment il y a une forme de réhabilitation du reggae. On a observé un mouvement similaire avec le revival soul qui avait suivi la sortie de Shaolin Soul, l’album où le Wu-Tang Clan citait toutes ses références soul. Ça a permis de faire prendre conscience à beaucoup de monde de la richesse de l’héritage soul. »

Drogués à la musique

Le musicien et réalisateur de disques Blackjoy, alias Jérôme Caron, a ainsi découvert le reggae sur le tard : « Pour moi, c’était impossible de savoir par où commencer. La production reggae est tellement gigantesque que ça m’a fait peur pendant très longtemps de m’y attaquer. Et puis, il y a le côté culture rastafari qui me saoulait un peu. Comme pas mal de monde d’ailleurs… » Ça et, peut-être, les clichés qui collent au reggae comme le teuch aux doigts.

Le chanteur Nitty Gritty dans la cour de King Jammy, 1985
Le chanteur Nitty Gritty dans la cour de King Jammy, 1985 - Beth Lesser

« Cette musique souffre de préjugés toujours très présents, s’agace Sébastien Carayol. Quand je parle de reggae, on m’interroge toujours en premier sur la fumette avant la musique. C’est comme si on faisait systématiquement des blagues sur la cocaïne aux fans des Rolling Stones… » Frédéric Lachaize, programmateur et directeur du Reggae Sun Ska Festival, se bat pour que le genre voit son image évoluer : « Il y a de manière cyclique des périodes fastes pour le reggae français. Nous sommes clairement dans une de ces phases. Mais le français moyen manque encore de culture reggae. »

Le paradis des audiophiles pointus

En attendant que monsieur et madame tout-le-monde se mettent au reggae, on peut compter sur une frange de nouveaux adeptes très connaisseurs et exigeants. « En fait je suis surtout très fan de deux producteurs, King Tubby et Lee Perry, explique Jérôme Caron. Je les ai vraiment découverts grâce au travail de défrichage réalisé par d’autres que moi. Grâce à Internet, j’ai accès à toutes leurs musiques sans être obligé d’aller sur place ou d’acheter tout un tas de disques, qui de toute façon, sont hyper difficiles à trouver. » Sébastien Carayol remarque qui « il y a actuellement un gros mouvement de rééditions de disques reggae obscurs et très pointus. Et il y a au moins cinq labels spécialisés dans ces rééditions qui sont français, comme Only Roots, Dub Livity ou Iroko Records. »

Le chanteur de Youth Promotion, Satan, dans un studio d’enregistrement improvisé, disquaire L&M, 1987
Le chanteur de Youth Promotion, Satan, dans un studio d’enregistrement improvisé, disquaire L&M, 1987 - Beth Lesser

Le reggae profite aussi de la promotion faire par les stars du hip-hop américain qui pioche abondamment dans le vivier jamaïcain. « Quand un rappeur explique et met en avant sa source, c’est super, comme Diplo avec Major Lazer. Mais quand il pille, c’est plus problématique, explique Sébastien Carayol. Il y a de nombreuses productions hip hop de 2016 qui pioche dans le dancehall. C’est dingue de constater l’influence d’un producteur comme Vybz Kartel qui alimente Drake et Rihanna alors qu’il est en prison. »

Bob est mort

Le reggae est actuellement dans un entre-deux, ni trop difficile d’accès ni trop abordable, où les hipsters se sentent si bien. On peut désormais sereinement passer du reggae dans une soirée, vanter les morceaux d’un producteur génial et lever les yeux au ciel quand un indélicat balance « moi, le reggae, à part Bob Marley, j’écoute pas trop »…

Daddy Shark devant le magasin de disques de Sugar Minott L&M, Waltham Road, Kingston, 1986
Daddy Shark devant le magasin de disques de Sugar Minott L&M, Waltham Road, Kingston, 1986 - Beth Lesser

« Après Bob Marley, le reggae a été perçu par le prisme de l’export de la culture rasta, explique Jérôme Caron. La qualité de la musique est passée au second plan puis n’a même plus été prise en compte. » Sébastien Carayol a la même analyse : « Le reggae était une musique des bas-fonds, du ghetto, une musique infréquentable. Puis il y a eu Bob Marley. Tout le monde a voulu s’approprier cette icône mondiale et lui faire dire des choses qu’il n’a jamais dit. Après sa mort, on en a fait un géopoliticien de la guerre froide alors que lui, il parlait surtout de son quartier. »

L’avenir du reggae

Peu à peu libéré de clichés et de sa Bob-Marley-dépendance, le reggae n’est pour autant toujours pas un genre musical majeur aux oreilles des Français. « Les réseaux sociaux, les sites spécialisés ou les labels de rééditions ont fait connaître beaucoup de producteurs reggae mythiques, constate Frédéric Lachaize du Reggae Sun Ska. Mais il y a une différence entre écouter de vieux sons chez soi et venir à un festival avec des artistes vivants… Notre public est de plus en plus jeune et attend des valeurs sûres. Et comme nous avons une grosse jauge, et que les festivals généralistes programment aussi pas mal de reggae, j’ai du mal à faire jouer des découvertes internationales. »

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Alors que le Reggae Sun Ska Festival va fêter cette année ces vingt ans, son directeur ne peut pas compter sur le seul public averti et connaisseur qui apprécie le reggae pointu. Il mise plutôt sur les genres mixtes : « Le jeune public est très consommateur de dub et de productions plutôt anglaises, tendance électro, qui ont des racines reggae mais le mettent au goût du jour. On essaye de participer à ça pour espérer durer dans le temps. »