Le Diss Track, version bien molle du clash de rappeurs
HIP-HOP•A l’âge des réseaux sociaux, l’embrouille entre les rappeuses américaines Nicky Minaj et Remy Ma montre la perte d'importance du clash dans la culture hip-hopFrançois Oulac
Dans le bal des combats qui ont agité le hip-hop pendant ce mois de mars, une passe d’armes a particulièrement retenu l’attention. Il faut dire que l’affiche n’est pas commune : d’un côté Nicki Minaj, star aux nombreux tubes (« Starships », « Anaconda », « Bang Bang »…). De l’autre, Remy Ma, rappeuse relativement inconnue du grand public, dont l’ascension fut brusquement interrompue en 2008 par une peine de prison achevée l’an dernier. La terre a tremblé lorsque cette dernière a osé attaquer sa rivale dans une chanson longue de sept minutes – un « diss track », dans le jargon rap.
Dans ce morceau intitulé « SHEther », Nicki Minaj est accusée pêle-mêle de ne pas écrire ses textes, d’avoir fait des infidélités à son ex-petit ami, de taire les ennuis judiciaires de son frère accusé d’atteinte sexuelle sur des mineures... Une litanie de piques plus ou moins fondées qui a déclenché une guerre de com’ sur les réseaux sociaux.
aL’animosité entre les deux femmes, jadis en compétition pour la couronne du rap new-yorkais, ne date pas d’hier – elle remonterait à 2007. La violence du morceau poussera Nicki Minaj à se défendre, d’abord sur Instagram et Twitter, pour finalement riposter avec le morceau « No Frauds », moins convaincant. L’attaque a provoqué un déferlement de réactions sur les réseaux sociaux, mais n’aura finalement que peu de répercussions sur la carrière de Nicki Minaj.
Ou est le clash à papa?
Certains ont voulu voir dans cette opposition une réminiscence des grandes rivalités d’antan : 2Pac contre Notorious Big, Jay Z contre Nas… Une époque où les clashes faisaient et défaisaient des carrières et engendraient des joutes musicales de haute volée – « Hit’em Up » de 2Pac reste considéré comme l’un des diss tracks les plus épiques de l’Histoire. « Le diss track est la version studio de la battle », explique Yérim Sar, journaliste rap. « Si tu réponds, tu montes sur le ring, et si tu prends un gros coup, les gens s’en rappelleront. »
Sauf qu’en 2017, le rap est une industrie comme une autre, les artistes règlent leurs comptes sur les réseaux sociaux et la street crédibilité est un lointain souvenir. Conséquence, la démarche de Remy Ma, rappeuse de rue, « kickeuse » à l’ancienne, paraitrait presque désuète. La réaction de Nicki Minaj, qui a d’abord préféré mettre en avant sa réussite avant d’affronter frontalement son ennemie, reflète ce choc des cultures. « Au lieu de répondre tout de suite, elle a d’abord posté des photos d’elle à la Fashion Week, l’air de dire : « J’ai pas le temps ». Impensable pour les fans de rap old school », analyse Yérim Sar.
aAutrefois pan entier de la culture rap, il semble que l’affrontement par diss tracks soit devenu optionnel. Et même quand il survient, c’est le nombre de followers qui détermine le vainqueur - à l’image du bras de fer remporté l’an dernier par l’incontournable Drake contre Meek Mill. « Il y a dix ans, « SHEther » aurait brisé Nicki Minaj. Là, elle n’a rien. C’est une autre époque », juge Sindanu Kasongo, qui tient le blog rap Le black et la plume. Pour lui aussi, quelque chose a changé. A de rares exceptions (le journaliste cite « Control » de Kendrick Lamar), il estime que le diss track n’intéresse plus que les puristes. Et déplore ce changement de mentalités : « Regarder un post et liker, c’est pas très hip-hop… » A l’heure des réseaux sociaux, le diss track n’est plus que distraction.