INTERVIEWOn a parlé futur avec le premier cyborg de l’histoire

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INTERVIEWCyborg depuis treize ans, Neil Harbisson a profité de son anniversaire pour se confier à nous...
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

Neil Harbisson a fêté vendredi dernier ses treize ans. C’est son âge de cyborg. Incapable de distinguer les couleurs depuis sa naissance - il perçoit seulement des nuances de gris -, cet artiste espagnol d’origine britannique s’est implanté, il y a treize ans, une antenne plutôt design sur le crâne pour transformer les fréquences lumineuses en fréquences sonores. Dans son monde, les tableaux composent de la musique et les peintres sont des chefs d’orchestre qui s’ignorent. Premier cyborg de l’histoire [c’est inscrit à son état civil], il a créé une fondation avec Moon Ribas, une amie d’enfance, pour aider les humains à devenir cyborg et défendre le droit de cette nouvelle espèce. A l’occasion de son anniversaire, il nous a parlé de son expérience d’homme-machine et de sa vision de l’avenir. Alors, pour un cyborg, le futur, c’est quoi ?

Pour vous, qu’est-ce que ça veut dire « être un cyborg » ?

C’est une manière de s’identifier. Quiconque s’identifie à un cyborg et se ressent comme un cyborg est un cyborg. Vous êtes un cyborg si vous vous sentez relié d’une manière ou d’une autre à la cybernétique ou aux technologies. C’est un terme très ouvert car c’est une contraction de deux mots : cybernétique et organisme. La meilleure définition, c’est celle décrite pour la première fois dans l’article « Cyborg and space » de Manfred Clynes et Nathan S. Kline. Si nous voulons survivre dans l’espace, si nous voulons être une espèce en mesure de survivre sur une autre planète, nous ne devons pas changer la planète, nous devons nous changer nous-mêmes. Au lieu de créer de la lumière artificielle la nuit, nous devrions créer la vision de nuit. En ajoutant des nouveaux sens à notre corps, nous n’aurons pas besoin de changer la planète. C’est ce qui m’a inspiré : nous devons nous changer nous-mêmes et pas la planète pour survivre.

Quand avez-vous commencé à vous considérer comme un cyborg ?

Quand je n’ai plus vu de différence entre mon cerveau et le logiciel. Après avoir installé l’antenne, il a fallu cinq mois pour que je ne la distingue plus de mon corps. Et à peu près au même moment, dans mes rêves, j’ai commencé à percevoir les couleurs.

A quel moment avez-vous imaginé pour la première fois avoir une antenne sur le crâne ?

Au départ j’ai pensé à un œil implanté au milieu de la tête, mais je me suis dit que cela limiterait ma perception des couleurs à celles qui sont devant moi. Une antenne me permet de les percevoir à 360°. Je peux regarder ce qu’il y a devant moi et percevoir ce qu’il y a derrière moi. Avec une antenne, je peux voir les couleurs là où je ne regarde pas. Enfant, je n’ai jamais imaginé être un cyborg, ça n’a jamais été un souhait. C’est apparu bien plus tard. Je n’ai jamais été intéressé par la technologie, ni par la science-fiction. J’ai toujours aimé la nature. Les couleurs sont des éléments naturels qui vont au-delà de ce qu’on peut percevoir.

Comment votre antenne fonctionne-t-elle exactement ?

L’antenne est un organe. Elle capte les fréquences lumineuses, de l’infrarouge à l’ultraviolet, autour de moi et transmet une vibration directement dans mon crâne. A l’intérieur de ma tête, j’ai une puce qui vibre. Ces vibrations deviennent des sons dans mon oreille interne. Quand vous faites vibrer l’os, cela crée du son et chaque couleur correspond à une note, de l’infrarouge à l’ultraviolet. J’ai un autre implant qui me permet de me connecter à Internet. Je peux recevoir les couleurs provenant d’appareils extérieurs. Cinq personnes de mon entourage peuvent m’envoyer des couleurs depuis leur téléphone. S’il y a un beau coucher de soleil quelque part dans le monde, elles me l’envoient et je perçois les couleurs d’un autre continent. Avec cette connexion, je peux aussi me connecter à la station spatiale internationale de la Nasa. De cette manière, je perçois des couleurs extraterrestres !

Quelles sont vos relations avec le monde extérieur ?

Quand je suis dans la rue, les gens m’arrêtent, me posent des questions, parfois se moquent de moi. Je suis en permanence interpellé dans la rue. C’est la vraie différence. Surtout, j’observe un changement d’interprétation. En 2004, les gens pensaient que c’était une lumière pour lire, en 2006, un microphone, en 2009, une webcam pour filmer ma vie, en 2013, on pensait que ça avait à voir avec les Google glass, en 2014, on pensait à un selfie stick… Jamais personne ne pense que c’est une antenne ou un nouvel organe. Je pense que ma relation avec les autres deviendra plus normale quand les cyborgs se normaliseront. Pour l’instant, ça reste quelque chose d’étrange.

Avez-vous fait l’expérience de menaces, de violence ?

J’ai vu toutes les réactions. Certains ont essayé de tirer sur l’antenne, d’autres m’ont agressé… J’évite à tout prix les femmes ivres. Elles essayent toujours d’arracher l’antenne. Dans tous les pays du monde, c’est la même histoire.

Et c’est dangereux ?

C’est très agaçant, surtout. Ça fait comme si on vous tirait sur une oreille. On ne peut pas retirer l’antenne, elle est accrochée au squelette, quand on tire dessus, on tire sur le squelette.

Comment imaginez-vous le futur du cyborg ?

De plus en plus de gens vont commencer à avoir de nouveaux sens et de nouveaux organes. Nous devons nous tenir prêts. La diversité arrive dans la prochaine décennie et ça va être énorme. Les gens auront des sens et des organes que personne d’autre n’aura. Cela va changer nos rapports les uns avec les autres, mais aussi changer notre expérience de la réalité.