Bande dessinée: Les auteurs sont-ils condamnés à disparaître?
BD•Une enquête révèle qu'une majorité de créateurs de « petits Mickeys» exerce dans des conditions précaires…Olivier Mimran
Ils produisent, à notre attention, du rêve en bulles… mais leur vie, elle, n'a rien d'un fanstasme : une enquête initiée par les États Généraux de la Bande Dessinée a récemment levé le voile sur les conditions de travail des auteurs de BD francophones. Et le constat global n'a rien de réjouissant.
« Auteur de BD, une profession en danger ». Tel était le thème des derniers États Généraux de la BD (qui se sont tenus dans le cadre du festival d'Angoulême 2017). Une formule alarmiste ? À peine, si l'on s'attarde sur les chiffres, éloquents, de l'étude sur laquelle s'appuyait la manifestation. Pour éviter de rentrer dans des détails trop techniques, examinons les plus révélateurs d'entre eux.
détail de l'enquête des EGBD 2016
Menée auprès de 1500 auteurs, « professionnels ou amateurs, de la star reconnue mondialement à l’inconnu en devenir », l'enquête des EGBD - la plus importante jamais menée sur une profession très largement exercée par des hommes (73%) - nous apprend d'abord que les créateurs du 9e Art se considèrent à 53% comme des « travailleurs précaires ». Ce que confirment leurs revenus : 52% d'entre eux gagnent moins d'un SMIC annuel brut. Pire, 32% vivent sous le seuil de pauvreté (selon les barêmes de l'INSEE).
Une « toute petite minorité » vit très bien de la BD
Aude Picault, auteure pourtant productive, confirme combien il est « difficile de joindre les deux bouts » quand on se consacre entièrement à son métier (71% des sondés déclarent d'ailleurs être obligés d'exercer en parallèle dans un autre domaine pour s'en sortir). Comment expliquer de telles situations ? La bande dessinée rapporte-t-elle vraiment si peu à ses « artisans » ? « C'est très relatif, tempère Benoît Peeters, scénariste français et président des États Généraux de la BD. Certains auteurs vivent très très bien de leur Art, mais on parle d'une toute petite minorité ».
détail de l'enquête des EGBD 2016
Alors qui est responsable de ces variations ? « Personne en particulier », selon Benoît Peeters, qui attribue plutôt la paupérisation des auteurs à la disparition progressive des magazines exclusivement dédiés à la bande dessinée. « Jusqu'au début des années 2000, ces magazines fonctionnaient selon un système de prépublication des oeuvres. Pour les auteurs, ça signifiait être payé une première fois, puis une seconde lorsqu'un album sortait ».
Une surproduction aux effets pervers
L'autre grande « coupable », c'est évidemment - 74% des auteurs en sont convaincus - la surproduction à laquelle on assiste depuis une vingtaine d'années : alors que n'étaient publiés que quelques centaines d'albums dans les années 80-90, ce sont actuellement plus de 5000 ouvrages qui sont mis en vente chaque année.
« C'est chouette pour les lecteurs, reconnait Aude Picault, mais cette surenchère a des effets pervers : d'abord, deux tiers des albums ne bénéficient d'aucune promotion. Autant dire qu'ils sont « morts-nés ». Ensuite, les éditeurs financent de nouveaux projets avec les bénéfices réalisés par leurs séries les plus populaires, mais n'hésitent plus à les enterrer s'ils ne marchent pas comme espéré. Cette surproduction génère donc une sorte de maltraitance des auteurs puisqu'ils deviennent de simples outils de productions et que leur travail n'est, artistiquement, pas toujours soutenu comme il devrait l'être ».
Travailler plus... pour gagner moins !
Aussi alarmant soit le tableau, on peut imaginer que les esprits les plus chagrins s'indigneront quand même à grands coups d'idées reçues : « Ouais, vous voulez nous faire pleurer mais la bédé, c'est une activité de fainéant ! Z'avaient qu'à poursuivre leurs études, aussi, au lieu d'gribouiller dans les marges ». Raté ! L'enquête des EGBD révèle aussi que 79% des auteurs ont suivi des études supérieures et que 36% d'entre eux travaillent plus de 40 heures par semaine.
détail de l'enquête des EGBD 2016
On le constate, la profession d'auteur de BD est, pour une très grande majorité de ses pratiquants, loin, très loin d'être un long fleuve tranquille. D'ailleurs, à la question « Craignez-vous que votre situation se dégrade dans les cinq prochaines années », la réponse est affirmative à 66%. Et 51% des sondés déclarent ne pas savoir s'ils pourront faire carrière dans la BD toute leur vie. « L'âge d'or de la bande dessinée est révolu, conclut Benoît Peeters. À nous de trouver des solutions pour enrayer un processus qui menace vraiment la production... et ses ouvriers ».