Féminisme, burn-out, homophobie… Patricia Kaas se confie
INTERVIEW•La chanteuse, qui vient d’entamer une longue tournée après avoir sorti un nouvel album en novembre, a répondu aux questions de « 20 Minutes »…Propos recueillis par Fabien Randanne
«La langue que je parle, n’est pas de celles qui mentent », chante Patricia Kaas sur son nouvel album (1). La chanteuse ne pratique effectivement pas la langue de bois, comme a pu le constater 20 Minutes qui s’est entretenu avec elle sur son burn-out, le féminisme ou ses trente ans de carrière. Une conversation franche à quelques heures du premier concert parisien de sa tournée (2). L’artiste se produit ces jeudi, vendredi et samedi soir à la salle Pleyel, et poursuivra son tour de chant jusqu’en juin sur les routes de France, mais aussi de Belgique, d’Allemagne, d’Autriche ou de Finlande…
Au moment de la sortie de votre nouvel album, en novembre, vous avez évoqué ouvertement le burn-out dont vous avez été victime, ce qui est assez courageux. Vous le regrettez ?
Je ne regrette pas d’en avoir parlé. Malheureusement, quand on évoque ce genre de sujets, c’est toujours exagéré, certains aiment dramatiser les choses. J’ai lu des articles dans lesquels il était écrit « Après deux ans de difficultés, elle revient… » Non ! Mon burn-out a duré six mois et je suis contente d’en être passée par là car cela m’a permis de voir la vie plus facilement.
C’est donc une Patricia Kaas regonflée à bloc que le public va retrouver sur scène ?
Oui, je suis bien dans ma tête et dans ma peau. J’ai confiance en moi. Mon burn-out m’a permis au final d’avoir un meilleur regard sur moi-même.
Vous venez d’entamer votre tournée, ça se passe bien ?
Très bien ! On a déjà fait neuf dates et ce [jeudi] soir, c’est la première à Paris, donc c’est un peu particulier. Mais c’est super. Même s’il y a une période toujours un peu fatigante avec les répétitions générales et les modifications de dernière minute parce que je m’intéresse à tout, des lumières aux arrangements.
Sur le dernier album, il y a des textes signés Arno, Hyphen Hyphen ou encore Aurélie Saada (du duo Brigitte). Ces plumes transgénérationnelles correspondent à ce que vous écoutez au quotidien ?
Concernant Arno, cela faisait dix ans que je lui demandais une chanson. Mais, pour tout dire, quand je choisis une chanson, c’est à l’aveugle, sans savoir qui sont les auteurs ou les compositeurs. Avec mon directeur artistique, j’ai évoqué ce que j’écoutais et on a essayé d’amener l’album vers ces sons-là, même si je ne fais pas non plus du Alabama Shakes, du Benjamin Clementine ou du Feu ! Chatterton – qui sont des artistes que je suis allée voir en concert et que j’apprécie. Mais ce n’est pas forcément évident de concilier cette volonté avec le fait que je suis là depuis trente ans et que ceux qui m’ont écrit des chansons l’ont fait avec ce qu’ils connaissent de moi. Ce n’était pas non plus voulu de travailler avec des artistes de la jeune génération, ce sont plutôt eux qui sont venus vers moi, et c’est très plaisant.
Vous évoquez vos trente ans de carrière. Comment expliquez-vous que vous êtes l’une des rares chanteuses françaises ayant débuté dans les années 1980 à avoir traversé les décennies ?
C’est difficile à dire, mais je pense que ce n’est pas dû à un morceau ou un album. Il y a la façon de s’exprimer, le personnage qu’on représente. Des artistes comme Mylène Farmer, Vanessa Paradis ou moi, qui avons débuté dans les années 1980, avons peut-être marqué les gens pour autre chose qu’une chanson.
Dans votre nouvel album, il y a une chanson intitulée Le Refuge, du nom de l’association qui vient en aide aux jeunes homos mis à la porte de chez leurs parents. En 2013, vous aviez signé une pétition favorable à la loi du mariage pour tous. L’égalité des droits et la lutte contre l’homophobie sont des engagements qui vous parlent ?
Oui car, indirectement, je suis concernée. Des membres de ma famille sont homosexuels et j’ai plusieurs amis gays ou lesbiennes. On est dans un monde où on est censés avancer, alors ça gêne qui que deux personnes aient envie d’être ensemble, de s’unir ? J’ai appris l’existence du Refuge par l’intermédiaire de Jenifer [qui est marraine de l’association]. Cela m’a étonnée qu’aujourd’hui encore des parents rejettent leur enfant. Moi, je me suis toujours très bien entendue avec le « milieu gay », qui est plutôt joyeux et positif. Donc, oui, c’est un engagement, même si je ne vais pas forcément descendre dans la rue et battre le pavé, mais si je peux évoquer publiquement ce sujet, c’est important.
Le texte d’une autre de vos chansons, Adèle, est clairement féministe et évoque la nécessité de se battre plus qu’un homme pour s’imposer dans la société. Ce week-end, la Women’s March s’est tenue à Washington, en réaction notamment à l’élection de Donald Trump. En Europe, les idées réactionnaires ressurgissent comme, par exemple, la remise en cause du droit à l’avortement. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
J’ai perdu mes parents quand j’étais très jeune et j’ai dû me battre dans un métier qui n’est pas facile quand on est une femme, alors j’ai eu envie de donner mon expérience à cette jeune Adèle. C’est aussi de ça que parle la chanson. Mais pour revenir à la question, c’est triste de se dire que des présidents sont élus alors qu’ils ont une attitude particulière envers les femmes. On sait bien que Donald Trump n’est pas le plus agréable. C’est triste de devoir se battre encore pour des choses qui avaient l’air acquises. A chaque campagne électorale, il faut qu’on remette ça en question alors qu’on devrait simplement passer à autre chose, car il y a plus grave. Je ne suis pas engagée politiquement, mais je ne comprends pas qu’on doive se battre pour avoir le droit à la parole.
Avez-vous donné des consignes sur les thèmes que vous souhaitiez voir évoqués dans les chansons de votre nouvel opus ?
Je n’écris pas, mais je voulais un album de variété élégant. Je considère une chanson telle que La Maison en bord de mer comme un cadeau, car elle me donne la parole sur un sujet important [l’inceste]. Je n’ai pas donné de directive pour que les textes soient plus « engagés » ou plus « femme », mais j’ai effectivement demandé une chanson sur le Refuge. Les autres morceaux qui m’ont été proposés résultent peut-être de la manière dont leurs auteurs me voyaient, et c’est intéressant. Certains textes ont été réécrits jusqu’à ce qu’ils conviennent à mon langage, à ma manière de voir les choses.
Vous êtes également l’une des grandes représentantes de la chanson française à l’étranger. Ce rôle n’est-il pas parfois trop lourd à endosser ?
Je vais être très égoïste, mais quand je vais en Russie ou en Allemagne, par exemple, c’est parce que j’ai envie de partager ma musique et pas vraiment pour porter le drapeau de la chanson française. Mais c’est vrai que les textes de mes chansons sont étudiés dans des écoles en Asie ou en Russie. C’est flatteur pour une fille comme moi, qui a débarqué à Paris avec un accent. Le monde du show-biz me faisait bien comprendre qu’il se demandait ce que je faisais là. La Langue que je parle, qui figure sur le nouvel album, évoque ça [« La langue que je parle ne fait pas l’élégante. L’allure un peu bancale, un peu bringuebalante »]. Au-delà de la manière de s’exprimer, c’est aussi une question d’authenticité.
(1) Son dernier album, intitulé Patricia Kaas, a été publié chez Warner
(2) Patricia Kaas se produit les 26, 27 et 28 janvier salle Pleyel, à Paris. Sa tournée passera notamment par Strasbourg (9 février), Nantes (28 février), Rennes (3 mars), Marseille (11 mars), Toulouse (8 mars), Lyon (12 mars)… Billets en vente sur les sites et dans les points de vente habituels.