Sorties culturelles: «Vous n’avez rempli que 3,7% de vos objectifs l'an dernier, reprenez-vous!»
METROPOLIS•De plus en plus de services et applications disponibles sur smartphones incitent leurs utilisateurs à profiter des offres culturelles parisiennes...Benjamin Chapon
Vivre à Paris peut parfois ressembler à une malédiction. Pas tant à cause de la pollution, de la météo ou du montant des loyers, mais à cause de toutes ses opportunités culturelles, là, à portée de main, que l’on ne saisit pas. Si de nombreux parisiens expliquent à leurs amis provinciaux qu’ils ne pourraient jamais se passer des concerts et des expos qu’offre la capitale, ils savent bien, au fond, qu’ils ne vont au concert que deux fois par an et à peine plus dans les musées.
Et vivre avec sa mauvaise conscience, c’est encore pire que vivre avec des Parisiens…
Alors que de nombreux sites, applications, gadgets connectés et fonctionnalités des réseaux sociaux permettent de mettre en scène nos exploits sportifs ou culinaires, aucun ne nous aide à tenir nos belles promesses de sorties culturelles. Mais ça va changer.
Quatre concerts par mois, au moins
Première solution : copier les offres ciné illimitées. Lancé il y a quelques mois, le service GuestMe propose déjà un abonnement illimité à des concerts à Paris. Le principe est simple : pour une somme forfaitaire mensuelle (33 euros), vous avez le droit de piocher autant de concerts que vous voulez parmi ceux proposés par GuestMe. Les places sont disponibles trois jours avant le concert. Il y a une formule d’abonnement duo. « On veut encourager et accompagner la curiosité, expliquent les fondateurs de GuestMe, Guillaume Lalu et Julien Bornstein. Nous avons défini une ligne éditoriale centrée sur les jeunes artistes et les découvertes dans le genre électro-pop au sens large. L’objectif est que les gens qui se reconnaissent là-dedans fassent confiance à notre sélection et aille voir des artistes qu’ils ne connaissent pas forcément. »
Le duo à l’origine de GuestMe veut ainsi faire la chasse aux sièges vides dans les salles de concerts de Paris qui ont souffert après les attentats du 13 novembre 2015 d’une désaffection significative. « Il y aura toujours de gros artistes grand public qui rempliront de grandes salles en un clin d’œil. Mais derrière, il y a énormément d’artistes qui peinent. »
Veni, vidi, instagrami au musée
Les musées également proposent des cartes coupe-file avec accès illimité aux collections permanentes. La carte Paris Musées permet de visiter à l’envi les 14 musées de la ville de Paris, dont le Petit Palais, le musée d’Art moderne, le musée Cernuschi… « Attirer un public jeune, disons de moins de 30 ans, on sait faire, avec des opérations spéciales et festives, explique Delphine Lévy, directrice de Paris Musées. Le public âgé et les scolaires aussi nous sont fidèles, ça, c’est assez facile. La vraie difficulté consiste attirer les actifs, les parents qui n’ont pas beaucoup de temps pour leurs loisirs, et qui sont exigeants. Ils veulent avoir l’impression d’avoir vu une exposition vraiment exceptionnelle, dont ils pourront parler ensuite. »
Sur le modèle d’applis de coaching sportif connectées aux réseaux sociaux de ses utilisateurs, plusieurs développeurs veulent miser sur notre insatiable soif de félicitations et encouragements pour nous inciter à aller plus souvent au musée. La société anglaise DevilArts, qui propose via des applications dédiées des contenus scientifiques et aides à la visite d’expositions, a noté que les options de partages de photos étaient les plus utilisées : « Nous créons des filtres et montages photos spécifiques pour chaque exposition, raconte Tania Hoover, directrice de la création. Les utilisateurs peuvent aussi publier une photo avec une phrase extraite d’un commentaire de l’œuvre. Ça marche très bien. Les utilisateurs s’approprient nos analyses et rebondissent dessus, cela créé du débat et beaucoup d’engagement. »
Un soir, un musée, plein de tweets
Faire une sortie culturelle et le faire savoir, Christian Lamarque, ex-ingénieur du son, veut exploiter cette recette et développe en ce moment une application s’appuyant sur un réseau de salles de concert parisiennes : « C’est encore flou mais la philosophie globale, c’est d’inciter les utilisateurs à assister à un moins un concert dans une quinzaine de salles. A chaque fois qu’on va dans une nouvelle salle, on gagne une place gratuite pour toute place achetée dans une autre salle du réseau. A la fin, si tu as joué le jeu et visité la douzaine de salles, tu peux inviter une dizaine de potes gratuitement à un concert avec seulement une place achetée. Il y aura aussi des trucs à gagner comme des accès en coulisses, des rencontres avec les artistes, la possibilité d’assister aux balances. » Christian Lamarque mise sur la constitution d’une communauté très connectée qui raconte ses soirées sur les réseaux sociaux. « Mon modèle c’est un peu les soirées SMV. »
SMV ? C’est quoi ça, un truc échangiste dans les backstages des concerts ? Non, SMV signifie « Un soir, un musée, un verre ». Au départ, quelques amis imaginent ces soirées conviviales où vient qui veut : on visite le musée en nocturne puis on boit un verre tous ensemble. « La philosophie de départ est restée la même : se faire plaisir, explique Laurent Albaret, cofondateur de l’association. Le succès de la formule a fait qu’aujourd’hui les musées nous sollicitent, nous invitent, nous proposent des visites avec les commissaires et même payent parfois le verre. On était deux organisateurs au départ, on est six aujourd’hui. Mais sinon, on reste sur le format de départ. » Ce qui a changé, c’est le regard sur les SMV dont le succès a été scruté par les musées parisiens. « On a eu pas mal d’articles alors on nous regarde avec beaucoup d’intérêt, reconnaît Laurent Albaret. Les musées ont compris qu’on pouvait leur apporter des gens plutôt jeunes et connectés. Ça fait venir aux musées des gens qui n’y viendraient pas sinon et qui vont parler de leur visite sur Instagram ou Facebook. Comme ce sont des visites dans de bonnes conditions, il y a des chances qu’ils reviennent. »
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« Tous les moyens sont bons pour faire venir les gens à des concerts, tant qu’ils viennent, concluent Guillaume Lalu et Julien Bornstein de GuestMe. L’offre illimitée, ça marche au cinéma, avec les séries télé et même la piscine. Nous, on y croit. Mais il faut que les gens jouent le jeu. Par exemple, on réfléchit à des offres groupées pour permettre d’aller à des concerts entre amis mais on veut éviter de donner des places à des gens qui finalement ne vont pas au concert. La philosophie de GuestMe, c’est de remplir les salles. Il faut que les gens soient motivés. »
Tous ces dispositifs encourageant les sorties culturelles se heurtent en effet au même écueil de la motivation. Puisque c’est gratuit, je peux annuler… Puisqu’il y a des SMV toutes les semaines, je peux repousser… « Notre solution pour motiver nos utilisateurs, c’est la proximité, expliquent les fondateurs de GuestMe. On dialogue beaucoup avec eux sur notre chat ou les réseaux sociaux. » Aussi innovants soient-ils sur le plan technologique, tous ces services ont en commun de miser sur la bonne vieille recommandation. « C’est pour ça qu’on ne veut pas trop grossir, explique Laurent Albaret, de SMV. Il faut qu’on soit crédible quand on dit "Allez viens, on va passer une bonne soirée". Et ça, ça ne se résout pas avec un algorithme. »