On a visité le bureau de Julian Assange… à Paris
SURVEILLANCE•« Assange’s room » est l’une des œuvres de l’exposition « Lanceurs d’alerte » qui se tient à la Gaité Lyrique à Paris, du 11 au 29 janvier…Annabelle Laurent
Depuis plus de quatre ans et demi, Julian Assange vit reclus à l’ambassade d’Equateur, à Londres. Mais c’est à Paris, à la Gaîté lyrique, que nous visitons son bureau. Plusieurs ordinateurs, des dossiers en cours, une petite dizaine de téléphones portables, L'Art de la Guerre de Sun Tzu, un masque des Anonymous, deux-trois tasses de thé vides, des dizaines de classeurs, d’ «Intelligence Iraq» à «Banking Blockade», ou encore un tapis de course.
Ce décor, les artistes du collectif !Mediengruppe Bitnik l’ont mémorisé jusqu'aux moindres détails, en 2013, lors de leur visite au fondateur de Wikileaks. Malgré l’impossibilité de prendre des photos, ils décident de le reconstruire à l’identique, et pour amplifier le réalisme, détournent les signaux wifi: en se connectant au réseau proposé dans la pièce, nous voici catapultés à Londres… du moins aux yeux de Google Maps.
L'ambition: nous faire sentir au plus près «la contradiction entre les murs de l’ambassade sous très haute surveillance, et ces 20m2 où Wikileaks continue, à travers les murs, d’être extrêmement actif», explique Marie Lechner, qui a dirigé à la Gaité Lyrique la programmation de Lanceurs d’alerte. Ouverte au public du 11 au 29 janvier, l’exposition réunit des regards d’artistes sur la figure des lanceurs d’alertes, «sans les héroïser» mais pour interroger chacun d’entre nous «sur les causes de leur apparition dans l’espace public», et leur rôle devenu essentiel pour révéler les dérives de la surveillance ou la manipulation des données.
Hello world
Si le collectif suisse a mis les pieds dans le bureau d’Assange (le vrai), c’était à la suite de son initiative qui avait, en janvier 2013, tenu en haleine quelques milliers d’internautes, et est également reproduite dans l’expo: «Delivery for Mr. Assange». Le 16 janvier 2013, les hackeurs adressent à Julian Assange un paquet qu’ils équipent d’une webcam. La caméra va filmer les 32 heures de périple et poster, toutes les dix secondes, une photo sur Twitter. Suspense. Le paquet allait-il être intercepté ? Le 17 janvier, les photos montrent l’intérieur de l’ambassade… puis la gueule ouverte d’un puma… et enfin, le message de la victoire, «Hello world. Welcome to Ecuador», avant que le visage d’Assange n’apparaisse.
Leaks et controverses
Aujourd’hui, en 2017, la popularité de l’Australien auprès des hackers a pris un coup, et la renommée de WikiLeaks a pâli en même temps que celle de son fondateur, qui se défend ces dernières semaines d’avoir aidé Donald Trump à remporter l’élection présidentielle... Il reste pourtant une figure emblématique chez les lanceurs d’alerte, aux côtés de Chelsea Manning, condamnée en 2013 à 35 ans de prison pour avoir transmis à Wikileaks plus de 700.000 documents de l’armée américaine, et Edward Snowden, l’ancien employé de la CIA et de la NSA qui commente régulièrement la vie politique depuis la Russie où il est en exil.
Une sélection de tweets de la première peut être lue sur le «Chelsea’s Wall», un autre dispositif pensé par le !Mediengruppe Bitnik, tandis que le second a inspiré au collectif Peng!, qui rassemble des artistes et activistes européens, la plus intimidante des installations de l’expo: «Call a Spy».
Allô monsieur l'espion?
Snowden a révélé la surveillance généralisée de nos communications? Allons donc embêter les espions directement. Et «rétablir l’équilibre de pouvoir entre les surveillés et les surveillants». Deux combinés à l’ancienne sont à notre disposition. Ne reste qu’à presser la touche 1, puis à choisir à parler aux services de renseignement américains, allemands, français ou canadiens. «Ce n’est pas un canular. Ils vous répondront», promet-on à la Gaité Lyrique, «sans aucun risque d’être identifié, puisque le réseau masque la source de l’appel.»
Un panneau explicatif propose de se choisir une couverture qui «décuplera votre assurance et vous aidera à paraître plus convaincant»: l’enseignant, le blagueur, le voisin? Pour que l’espion ne raccroche pas tout de suite, puisqu’ils sont « formés pour ne pas se laisser entraîner dans des conversations et révéler de quelconques informations», libre à vous de papoter météo, ou débiter rapidement une foule d’informations…
On s’est armé de courage, mais toutes les lignes sonnaient occupé... Sur son site, le collectif insiste encore: quand quelqu’un décroche, c’est un espion, pas un acteur. La base de données - les numéros ont été trouvés sur Internet - est remise à jour régulièrement. L'intérêt revendiqué? «Chaque minute qu’un espion passe au téléphone avec vous est une minute... où il ne peut pas faire son travail.»