Financez vos street artistes préférés grâce au crowdfunding
metropolis•Nouveaux artistes, nouveaux projets et si le financement participatif révolutionnait le street art?Antoine Magallon
Donner 20€ pour l’organisation d’une exposition, 10 pour éditer un calendrier, c’est ce que propose Cercle Rouge. Une plateforme de financement participatif (ou crowdfunding), comme il en existe des dizaines mais la seule dédiée au développement de projets culturels. Si son co-fondateur, Boris Norbert, explique « ne se fermer aucune porte », une part importante des projets hébergés par le site est liées à art urbain. « Ça s’est fait par affinité personnelle, nous sommes de la génération des années 80 et de la culture hip-hop donc nous sommes sensibles au graffiti, à la danse… »
Après plus d’un an d’activité il semblerait que les résultats soient à la hauteur des espérances (voir encadré). Expositions, achat de matériaux, festivals… plusieurs projets ont d’ores et déjà vu le jour et les artistes ont parfois récolté plus d’argent que nécessaire. Le dernier en date a, par exemple, bénéficié de 1680€ de la part des internautes, soit 112 % de la somme demandée. Il s’agissait d’un calendrier pour « découvrir une œuvre d’art ( urbain) chaque mois plutôt qu’une sempiternelle photo de chatons. »
Plein feu sur l’art urbain
L’entrée du street art dans le monde de l’économie participative, une bonne nouvelle pour Alexis Gremmel, galeriste à Paris. « Il y a beaucoup d’artistes talentueux mais qui n’ont pas la chance d’avoir les contacts nécessaires ou de faire la rencontre qui leur permettrait de passer un palier. Donc oui, je pense que le participatif est profitable, dans le sens où il offre une visibilité beaucoup plus importante aux artistes. » Une vision partagée par Anaïs Del Bono et Guillaume Maréchal, tous deux auteurs du livre Le financement participatif culturel. « Ces plateformes permettent de présenter à un public (cercle proche en premier lieu) un projet sans intermédiation. Il n’y a pas de sélection spécifique pour la majorité des plateformes. En cela, elle peut mettre en lumière le travail d’un artiste et contribuer, si la campagne est un succès et si le porteur de projet a réussi à fédérer sa communauté, à révéler son travail à un cercle plus conséquent. »
Mais les jeunes artistes ne sont pas les seuls à s’être saisis de cette opportunité. Le 132 Crew, un collectif emblématique, né dans les années quatre-vingt-dix et composé de nombreux graffeur français, a eu recours au financement participatif pour imprimer trois livres, contenant des centaines de photos, prises à Paris et Marseille au long de leurs 25 années de carrière. Lancée en 2016 sur Kiss kiss bank bank la collecte a été un franc succès. Alors que les 132 ne demandaient que 5 000 € pour lancer les impressions, les internautes leur ont offert quasiment le triple.
Le financement participatif pourrait permettrait aussi de lever le voile sur de nouveaux artistes, jusqu’ici retissant à l’idée de s’associer avec des galeries ou des musées. « Oui, des graffeurs refusent de travailler avec des galeristes car ils n’aiment pas se sentir emprisonnés. Si les plateformes de crowdfunging leur proposent de mettre leur projet ou leur crew en avant ça peut les interessés », ajoute Alexis Gremmel.
La fin des galeries ?
Partant de là les galeries d’art ont-elles du souci à se faire ? Pas le moins du monde, répondent Anaïs Del Bono et Guillaume Maréchal. « De la même manière que les banques en ligne coexistent avec les banques traditionnelles, les maisons d’édition avec les plateformes d’auto-édition, les plateformes culturelles de financement participatif peuvent avoir leur place au sein de la sphère culturelle marchande des galeries d’art. » Un point de vue que partage encore une fois Alexis Gremmel, pour qui ce type de site pourrait même l’aider dans son travail. « Si je représente un artiste, qu’il monte un projet avec une levée de fond et qu’ensuite il explose, c’est top pour moi. C’est à la fois une bonne pub pour ma galerie et une preuve de la qualité de mon travail. »
Une pièce pour les rues de Paris
Le crowdfunding une solution miracle ? Pas forcément. Tous les artistes ne réussiront pas leur campagne de financement. Surtout ceux qui revendiquent leur vandalisme. « Certains internautes seront réticents à mettre de l’argent pour défoncer les rues de Paris », anticipe Alexis Gremmel. Critique, Cédric Naïmi, l’auteur du livre Etat des lieux du graffiti et du Street art, l’est encore plus. Pour lui, les effets du crowdfunding restent largement à démontrer. « Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact du participatif sur le monde du street art. Alors oui, les gens vont pouvoir miser sur des artistes, mais pour quels gains ? D’autant qu’ils ont souvent leurs propres réseaux, se donnent des plans pour travailler dans des ateliers… Et que beaucoup, ne veulent pas être mis en vitrine, ne veulent pas être vendus, souhaitent rester vandales et ne pas être connus ou reconnus. » Une occasion de plus de relancer l’éternel débat entre ceux dont l’art s’achète et les graffeurs dont la créativité ne se monnaye pas.