30 ans, 40 ans, 80 ans, 224 ans… Quelle est l’espérance de vie d’un musée?
ANNIVERSAIRE•A l'instar du musée d'Orsay, de glorieux établissements nationaux fêtent leurs anniversaires alors que de plus humbles sont menacés de fermeture…Benjamin Chapon
Le week-end du 3 et 4 décembre 2016 sera l’occasion pour le Musée d’Orsay de fêter ses 30 ans en grande pompeavec une série d’événements festifs et gratuits dans les espaces de l’ancienne gare parisienne. Cette année, on a déjà fêté les 10 ans du musée du Quai Branly, auquel on a ajouté le nom de Jacques Chirac pour l’occasion. La Cité des Sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte ont également fêté ensemble leurs anniversaires, 30 ans pour l’un, 80 ans pour l’autre. Enfin, février 2017 verra le Centre Pompidou fêter ses 40 ans. On en passe.
Or, quand Papy souffle ses bougies, c’est plus fort que nous : on se demande forcément s’il y aura encore un gâteau l’an prochain.
Si ces célébrations sont l’occasion de faire des projets d’avenir pour les plus fameux de nos musées nationaux, l’année 2016 a été plus compliquée pour d’autres établissements. Une statistique officieuse annonce même que les musées ont vécu une annus horribilis. Avec les fermetures, notamment, du centre d’art Le Quartier à Quimper (Finistère), du musée Rosa Bonheur de Thomery (Seine-et-Marne) et du musée d’Ethnologie de Béthune. On ne compte plus ces disparitions ou les pertes du label « Musée de France », synonyme de mort prochaine.
Contrairement aux organismes vivants, l’espérance de vie des musées ne dépend pas tant de leur âge que de leur hygiène de vie. Le Louvre va sur ses 224 ans avec une santé de fer. Alors quelles maladies ou accidents menacent la vie des musées ? D’ailleurs, peut-on seulement parler de « mort » d’un musée ? « Quand un musée ferme au public, il s’agit plutôt d’un état végétatif, ose un conservateur inquiet. La plupart du temps, les collectivités propriétaires des collections ne s’en séparent pas totalement, ils annoncent juste une fermeture temporaire. Mais c’est encore pire parce que les collections mal entretenues s’abîment. Elles ne servent à rien et coûtent cher. Symboliquement, personne ne veut prendre la décision de tuer un musée pour de bon, mais plus longtemps il restera fermé, plus il sera difficile de l’ouvrir à nouveau. » Dans le cas de ces musées fermés sans grand espoir de réouverture, on peut parler d’un accident vasculaire cérébral. On ne sait jamais qui et quand sera touché, mais une mauvaise hygiène de vie (difficultés économiques, fréquentation basse, tutelle politique défaillante…) multiplie les risques.
Carence en fer et en vitamine B12
Cette année, à Paris, la Pinacothèque a ainsi bel et bien fermé, tout comme le musée de l’Erotisme, établissement privé qui a vendu ses collections aux enchères. Bien sûr, les musées nationaux et leurs collections inaliénables sont a priori à l’abri de tels scénarios catastrophes (à moins d’une catastrophe prophétisée dans l’exposition Un musée imaginé. Et si l’art disparaissait ? du Centre Pompidou Metz). Mais la compétition accrue entre musées, encore renforcée avec une baisse de la fréquentation suite aux attentats en France, oblige les établissements à innover sans cesse pour attirer de nouveaux publics. Parce que la carence en public peut insidieusement saper la santé d’un musée.
« Dans nos expositions, nous essayons de multiplier les points de vue pour rester attrayants, explique Jérôme Bastianelli, directeur général du musée du Quai Branly. Le défi est de séduire un public habitué des musées et un autre qui ne sait pas, a priori, ce qu’il va y trouver. Pour un musée voisin de la Tour Eiffel, nous pouvons faire beaucoup mieux auprès des touristes étrangers par exemple. » Bruno Maquart, président de Universience, établissement public du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie, a un problème similaire : « A l’ouverture du Palais, en 1937, le défi était de montrer la science en la sortant des laboratoires. Aujourd’hui, la culture générale des visiteurs a beaucoup évolué. Nous devons montrer la science la plus fraîche, les innovations. Nous sommes dans une phase de rénovation de la proposition avant une grande réouverture en 2024 de tous les espaces du Grand Palais, dont nous sommes les plus anciens occupants. C’est une aventure très excitante. »
Atrophie musculaire
L’autre grave menace planant sur la santé des musées serait le manque d’activité, l’encroûtement. Pour y remédier, la plupart des établissements organisent des événements hors de leurs murs. Le Louvre a ouvert une antenne à Lens, imitant en cela le Centre Pompidou Metz. « Nous privilégions les partenariats scientifiques avec des musées en région pour assurer notre mission de service public dans tout le territoire, explique Xavier Rey, directeur des collections au musée d’Orsay. Par une politique de prêts ou de dépôts très importants, nous valorisons ces musées. Il y a eu Giverny, puis le musée Bonnard au Cannet, le musée Courbet d’Ornans, et bientôt avec le musée de Pont-Aven. » C’est un peu de la gloire d’Orsay qui retombe sur ces musées. « Les responsables politiques locaux réalisent l’importance et la qualité des musées qui sont sur leurs territoires grâce à ces opérations. »
Les fameux Ateliers nomades du musée du quai Branly, organisés pendant deux ans dans un territoire francilien, sont exemplaires et permettent à aux œuvres et aux conservateurs du musée de voyager hors de leurs réserves.
Infarctus
Prendre soin de soi, c’est aussi éviter le stress inutile, faire attention à son corps. Pour un musée, il s’agit de prendre soin de ses deux trésors : les collections et les publics. Pour enrichir toujours plus leurs collections, la plupart de musées se tournent vers le mécénat. Le musée d’Orsay vient d’annoncer une gigantesque donation d’œuvres phares légué par le couple de collectionneurs américain Marlene et Spencer Hays. En ce moment même, le musée du quai Branly présente une partie de la collection du marchand d’art Marc Ladreit de Lacharrière dans une exposition. Et le Centre Pompidou ne manque jamais une occasion de remercier ses généreux donateurs. Mais il faut aussi chouchouter ses publics. « Les attentes des visiteurs se sont développées, Xavier Rey, directeur des collections au musée d’Orsay. Ils veulent des espaces de repos, des ateliers, des lieux de médiations… Leurs goûts sont aussi de plus en plus riches et ne se limitent pas du tout aux seuls Impressionnistes. Il faut être à la hauteur. » Pour sa part, Bruno Maquart, directeur du Palais de la découverte vante « une médiation humaine et une muséographie vivante » qui met à l’aise le visiteur.
Assassinat
Le plus grand péril menacant les musées reste la fermeture décidée arbitrairement par le pouvoir politique. Du côté du musée du quai Branly, il faut ainsi assumer que l’ouverture en 2006 a été rendue possible grâceau transfert des collections d’autres musées qui ont bien failli ne jamais s’en relever : le musée de l’Homme et le musée de la Porte Dorée. « Le musée de la Porte Dorée a fermé sans vraiment fermer. Un autre projet y a vu le jour, note Jérôme Bastianelli, directeur général du musée du quai Branly. Le musée de l’homme a lui aussi connu une magnifique réouverture avec un nouveau projet. Une muséographie tombe en désuétude plus ou moins vite. Les musées sont des organismes vivants, toujours en mouvement. » Pour le musée des Arts et traditions populaires, dont les collections sont désormais conservées par le Mucem à Marseille et le bâtiment rendu inutilisable par l’amiante, le rêve d’une nouvelle vie semble lointain.