Le travail inspire films, séries télé et livres

Le travail inspire films, séries télé et livres

CULTURE – Ou plutôt, le mal du travail
"Le Diable s'habille en Prada"
"Le Diable s'habille en Prada" - DR
Alice Antheaume

Alice Antheaume

La violence des échanges en milieu salarié: nouvelle source d’inspiration pour les œuvres culturelles? Films, séries télé et bouquins se multiplient sur ce thème.


«D’un point de vue humain, mon expérience de l’entreprise a été plutôt négative, raconte Jean-Michel Hua, rescapé d’une banque d’affaires londonienne et du monde merveilleux de la pub qui, aujourd’hui, écrit les scénarios de «Brother&Brother», une série sur Canal + qui croque de façon acerbe les ambitions des employés d’une multinationale.


En 2004 déjà, Jean-Marc Moutout filmait un jeune consultant (joué par Jérémie Rénier) chargé de réaliser l’audit de PME, décidant au passage des licenciements à venir (dans «Violence des échanges en milieux tempérés»). Une technique de management qui, bien que dictée par la redoutable loi du marché, ne manque pas de poser des dilemmes à ceux qui sont payés pour faire le ménage. A l’autre bout de la chaîne, des victimes d’un mal difficile à formuler à l’heure où la reconnaissance sociale passe par carrière professionnelle ascendante. Pourtant, en 2006, on découvrait, sous la caméra de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, une ouvrière, un directeur d’agence, une aide soignante, une gérante de magasin confier leurs souffrances physiques et morales dans le cabinet lugubre de médecins du travail, dans un documentaire au titre massue: «Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés».


Disponibilité éternelle


Jean-Michel Hua, l’auteur de «Brother&Brother», se souvient de la centaine d’heures qu’il passait chaque semaine dans son bureau de Londres, de ces dimanches qui étaient des journées comme les autres, c’est-à-dire des jours ouvrables, comme on dit sobrement. «Une des rares fois où il n’y avait pas trop de travail, je suis allée voir ma fiancée à Paris un dimanche, rapporte Jean-Michel Hua, quand, soudain, mon chef, qui était en mission ce jour-là à New York, m’appelle sur mon portable. "Tu es où?", me demande-t-il. "A Paris", je réponds. "Mais qu’est-ce que tu fais à Paris?, reprend-il. Rentre tout de suite à Londres!" Une heure plus tard, j’étais dans l’Eurostar pour retourner bosser.» Pris au piège, Hua a mis plusieurs années avant de claquer la porte. Car il lui fallait refermer la parenthèse de ce qui, plus jeune, l’avait fait rêver. «En sortant de mes études, j’avais envie de gagner de l’argent, d’avoir des bretelles comme Michael Douglas dans le film "Wall Street", mais ensuite, j’ai déchanté.»


Le travail, même douloureux, donne un sens à la vie des salariés


Pour Jean-Michel Hua, l’environnement glacé des bureaux de «Brother&Brother» symbolise rien de moins que «l’enfer», cet endroit où «l’on ne travaille pas seulement 24h/24, mais éternellement.»

C’est cette mise sous tutelle permanente des employés à leurs chefs que décrit aussi le film adapté du roman «Le Diable s’habille en Prada». L’héroïne, Andrea, devenue assistante de la rédactrice en chef d’un magazine de mode, sursaute à chaque fois que son téléphone professionnel sonne (des dizaines de fois par jour), effrayée à l’idée d’entendre la nouvelle lubie de sa boss, lubie qu’elle devra exaucer dans la minute. Pourtant, elle ne peut se résoudre à éteindre son portable. Difficile en effet de décrocher d’un travail qui, même vain, même douloureux, donne un sens à la vie des salariés.


Quand Octave, le personnage de «99F» joué par Jean Dujardin, s’arrête de délirer dans sa boîte de pub, il tombe. Car, derrière le sourire diamant et les lignes de coke, il n’y a rien d’autre que la vacuité de l’homme, ce «produit comme les autres». Quant au bien être, c’est superflu. «Dans ma profession, personne ne souhaite votre bonheur, parce que les gens heureux ne consomment pas», conclut Octave.


Euphémismes et litotes au service de la diplomatie


Une vision sombre de l’entreprise que l’écrivain Thierry Beinstingel a aussi évoqué dans «CV roman» (éd. Fayard), qui faisait partie de la moisson littéraire de la rentrée. «Nous nous sentions creux, confie le narrateur, caché derrière le titre de conseiller en formation, tout juste avions nous pu glaner les mots d'outplacement, outplacers, des metteurs en dehors, voilà ce que nous aurions pu être le temps de quelques mois, avant qu'une nouvelle mode linguistique vienne renouveler la formulation de notre nouveau métier. (...) Bref nous étions ici pour apprendre à mettre nos collègues dehors - nous préférions dire plus modestement: "aider à chercher du boulot ailleurs, donner un nouvel élan à leur vie professionnelle".»