Apprendre à graffer c'est bien, trouver un mur libre c'est mieux mais pas facile
Street art•Dans la capitale, les formations à l’art urbain se multiplient mais les lieux pour exercer son talent restent rares...Antoine Magallon
Collège Edouard Pailleron, 19e arrondissement de Paris. Dans ce petit établissement de 400 élèves, ils sont quinze à suivre cette année une curiosité éducative. L’atelier graff, comprenez graffiti, proposé par l’équipe enseignante. L’objectif, utiliser le street art pour développer « l’éthique, la citoyenneté et la coopération entre les élèves, avec une vraie exigence culturelle », explique Isabelle Sourdot, la principale du collège. « Nous leur apprenons, avec un artiste, le maniement de la bombe, ne serait-ce que de la tenir, avec quel doigt presser, à quelle distance du mur se tenir, comment faire des coulures… », détaille Bento Martins, le professeur d’EPS chargé de l’atelier.
Pourtant les apprentis artistes ne se baladent pas dans le quartier à la recherche des façades disponibles, tout est fait sur place. « Au départ, j’avais fait une demande à la mairie pour aller en extérieur mais je n’ai jamais eu de réponse. Nous avons donc utilisé les murs du collège », explique Christophe Andrieu, professeur d’EPS au collège Edouard Pailleron et coordonnateur du projet.
Les élèves sont aussi sensibilisés à faire la différence entre la création artistique et la dégradation des murs et des édifices privés. « Il y a tout un pan éducatif autour du respect citoyen dans les ateliers que mènent les professeurs », détaille la chef de l’établissement. « Ils savent qu’il y a deux sortes de graffs, ajoute Christophe Andrieu, ceux qui sont autorisés et ceux qui sont faits de façon vandale. »
Un tag, 500 euros d’amende
Car oui graffer sur les murs peut coûter cher. Les articles 322-1 et R.635-1du code pénal encadrent et limitent la pratique de l’art urbain. En octobre 2016, un artiste renommé, Thoma Vuille, l’auteur de « Monsieur Chat », écopait de 500 € d’amende de la part du tribunal correctionnel de Paris pour avoir peint son félin hilare sur une cloison en plâtre de la Gare du Nord à Paris.
N’y a-t-il donc pas un paradoxe à enseigner une pratique répréhensible par la loi ? Pour Kader, alias Deks, animateur pour Street Art Paris, et qui propose des cours de graffiti pour tous les âges, l’évolution du street art fait qu’aujourd’hui la question ne se pose plus. « Ce n’est plus une pratique de jeune voyou, mais une activité qui a sa place dans les musées, dans les galeries et sur sa voiture. C’est une vraie pratique artistique donc il n’y a pas de paradoxe à enseigner le graff. Ce n’est plus le graffiti bête et méchant d’il y a quelques années. »
Comment graffer librement à Paris ?
Sur Paris, quelques spots sont librement accessibles, comme le Skate parc de Bercy, les rues Ordener dans le 18e, Dénoyez (20e), Oberkampf (11e) ou encore les rues Primo Levi et des Frigos dans le 13e. Certains murs ont été offerts à des associations par les mairies d’arrondissement, d’autres sont simplement tolérés, par accord tacite entre les artistes et les autorités.
Dans les faits, mis à part le bouche-à-oreille, rien ne permet aux graffeurs de différencier un mur autorisé d’un mur qui ne l’est pas. Aucune carte ne référence les lieux accessibles aux novices ou experts de la bombe et du collage urbain. « Cela pourrait être mis en place », explique Fanette Brissot, membre de la direction des affaires culturelles de la Mairie de Paris. « Mais nous ne faisons pas de communication là dessus, les règles de gestions de ces murs ne sont pas toujours écrites ». Les autorisations sont délivrées au cas par cas, en fonction de l’artiste qui en fait la demande, des propriétaires de la façade, des projets du maire d’arrondissement ou encore de l’ancienneté des graffitis présents. Un mur déjà recouvert sera plus facilement laissé à disposition des futurs artistes qu’une surface immaculée.
Comment atteindre l’équilibre entre les agitateurs d’aérosols, toujours plus nombreux et les espaces disponibles ? Peut-être grâce au budget participatif de la Mairie de Paris. En 2016 de nombreuses propositions citoyennes concernent l’art urbain et plusieurs ont été retenues, comme l’installation d’œuvres sous un pont de la rue Broca dans le 13e arrondissement. Avec 630 votes le projet sera donc inscrit dans le budget du conseil de Paris en décembre prochain. Un appel sera ensuite lancé par la Mairie afin que des artistes proposent des œuvres.
Une initiative louable mais certainement pas suffisante pour convaincre Joris Delcourt. « Le monde de l’industrie a investi l’espace urbain, via la publicité, mais pour les gens lambdas il n’y a pas grand-chose. Beaucoup d’artistes ne naîtront pas car ils n’ont pas la possibilité de peindre en grand. Il n’y a rien pour ceux qui veulent démarrer, s’exprimer ou se vider l’esprit. En matière de graffiti, tout est complexe à Paris », déplore le Street artiste, qui propose lui aussi, depuis 2015, aux adultes d’apprendre le maniement de la bombe.
Bien choisir sa cible
« Pendant les ateliers je fais de la prévention auprès de mes élèves, ajoute Joris Delcourt, afin qu’ils aient conscience des peines encourues s’ils taguent là ou ce n’est pas admis. » Une précaution pas forcément utile pour Deks. « On ne va pas retrouver mes élèves, marqueur à la main, à taguer le métro. Les gens viennent pour découvrir, connaître le street art. Cela ne veut pas dire qu’ils vont devenir graffeurs. » Pour ceux qui se tourneraient quand même vers cette voie, choisissez bien votre mur pour réduire les chances de vous faire verbaliser par la police. Contactez une association comme Le M.U.R ou Street Art Paris et misez sur une façade déjà graffée.