BDFin de «Naruto»: Comment on termine un manga de 72 volumes?

Fin de «Naruto»: Auteurs, éditeurs, lecteurs... On achève bien les mangas

BDAvec la sortie ce vendredi du 72e et dernier tome de « Naruto », c’est une page du manga qui se tourne…
Vincent Jule

Vincent Jule

pour sa prépublication, et début 2015 pour son édition reliée, le dernier tome ne sort qu’aujourd’hui, vendredi, en France. Quinze ans, 72 volumes, 700 chapitres, 200 millions d’exemplaires vendus… c’est qui tourne la page. A l’instar de Dragon Ball à son époque. Mais pas question ici de spoiler la fin des aventures du ninja orange (Quel est son dernier combat ? Est-il sacré Hokage ? Happy end ou tragédie ?), mais plutôt de savoir qui décide d’en finir, pourquoi et comment : l’auteur, l’éditeur, le lecteur ?

One Piece vise les 150 volumes

« Evidemment, c’est toujours bizarre après tant d’années et de tomes, commente Christel Hoolans, directrice générale déléguée de Kana, l’éditeur français de Naruto. Le manga a accompagné les tout débuts de Kana, et lui a permis de bien vivre, et de bien éditer, en attirant d’autres maisons d’édition japonaises et en développant un super-catalogue. » Sans oublier que Naruto est devenu une marque, « une licence 360° », avec les séries, les films, etc.

« Au Japon, cela a été un coup de massue », précise Christel Hoolas. Non pas que la fin soit une vraie surprise (la rumeur courait depuis quelques années), mais qu’un autre manga référence, , s’arrête aussi (au volume 74), et que la relève n’est toujours pas assurée. Seuls les pirates de courent toujours, ils ont dépassé les 80 aventures, et son auteur, Eiichirō Oda, vise les… 150 !

Des mangakas « à bout de forces »

« Tout dépend de la personnalité et de la méthode du mangaka, éclaire Stéphane Beaujean, ancien journaliste spécialisé et nouveau directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Oda est totalement dans son élément, si personne ne l’arrête, il ne s’arrêtera pas. Mais le cas de Masashi Kishimoto, le dessinateur de Naruto, est plus compliqué, il est perfectionniste, pointilleux. Chaque planche, chaque dessin sont composés d’une certaine façon, cela demande beaucoup de travail. » Trop ?

C’est la première raison qui pousse un auteur à mettre un point final à son œuvre, à arrêter les frais. « Les mangakas sont attachés à leur table de dessin, la cadence est infernale, leur quotidien assez violent », raconte Stéphane Beaujean. Pour rappel, un dessinateur japonais doit abattre 16 à 18 pages en noir et blanc par semaine s’il est prépublié dans un hebdomadaire comme le Weekly Jump de Shueisha, leader du marché, contre 40 pages en couleur par an pour la BD franco-belge. « Ils sont usés, à bout de forces, surtout qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de se créer des bulles d’oxygène, des parenthèses. »

Un art industriel

Résultat, ils peuvent tomber malades, très malades, à l’instar de la mangaka Ai Yazawa dont le chef-d’œuvre sorti en… 2009 ! De même, quatre ans séparent la publication des deux derniers tomes en date de Hunter X Hunter chez Kana, Yoshihiro Togashi faisant parfois des pauses à cause de son mal de dos, ou rendant des chapitres entiers au dessin épuré, brouillon. « Dans ces cas-là, on pleure, concède Christel Hoolas. S’il avait un rythme plus régulier, il aurait autant, voire plus de succès qu’un Naruto. Mais le lectorat reste fidèle, et à chaque tome, le même nombre d’exemplaires est écoulé. Environ 50 000. »

« Le manga est un art assez industriel, ajoute le nouveau directeur artistique du Festival d’Angoulême. Dans la tête d’un éditeur comme Shueisha, il s’agit avant tout de séduire un public, pas forcément de raconter quelque chose. » Le magazine met ainsi régulièrement en place des sondages de popularité, et la sanction peut être terrible. Hiroyuki Takei l’a appris à ses dépens, lorsque sa série a été arrêtée prématurément, alors qu’il venait de se lancer le dernier arc narratif. Il aura fallu qu’il attende l’édition collector, quelques années plus tard, pour pouvoir offrir la vraie fin à ses lecteurs. « Ces éditions deluxe sont l’occasion pour les auteurs de refaire certains dessins, de réajuster des pages, ou d’ajouter un chapitre, explique la directrice générale déléguée de Kana. Et ainsi proposer leur version ultime, à même de remplacer l’édition dite classique. »

L’après- « Naruto » est déjà planifié

Naruto, One Piece, Bleach, Dragon Ball… Leurs auteurs ont beau être des top mangakas, ils n’ont donc pas tous les pouvoirs. Akira Toriyama a voulu arrêter l’épopée de Son Goku, mais son éditeur l’a forcé à tirer à la ligne jusqu’au tome 42. Dans le cas de Naruto, on peut parler d'« alignement des planètes » selon Stéphane Beaujean, mais aussi de politique. Les deux parties, Masashi Kishimoto et Shueisha, étaient à la croisée des chemins, mais ont dû âprement négocier. Ce n’est pas un hasard si l’après-Naruto est déjà planifié, avec la sortie du one-shot en janvier 2017 et de la suite en mars, sur laquelle .

Mais la fin de Naruto est aussi le signe d’une réflexion plus profonde chez l’éditeur japonais, car il s’agissait encore d’un enfant de DBZ, un héritage, une résurgence des années 90. Or, le shônen, le manga pour garçons, est en train d’opérer sa lente mutation, face au succès grandissant des comics et des super-héros sur les marchés chinois, taïwanais et coréens. D’où l’avènement de séries comme My Hero Academia et , qui s’accompagne d’une rébellion éditoriale chez certains jeunes auteurs. Une page du manga se tourne.