CONSENSUSComment voter pour que tout le monde soit content

«20 Minutes» met la démocratie à l'épreuve en baptisant ses salles de réunion

CONSENSUSIl vous est arrivé d’être déçu par les résultats consensuels d'un vote ou d'un palmarès ? Cet article est pour vous…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

Vianney, artiste masculin de l’année ? Ras le bol de cet entre-soi des professionnels de la profession qui n’entendent rien à la chanson.
Un Grand Prix pour Xavier Dolan ? Le jury du Festival de Cannes est noyauté par L’Oréal, c’est un scandale !
Slimane gagne The Voice ? Arf, les spectateurs de TF1 ont vraiment des goûts de chiotte.
Le Goncourt pour Mathias Enard ? Marre de ces vieux machins incapables de comprendre les jeunes auteurs d’aujourd’hui !

Cet article aurait donc aussi bien pu s’intituler « Quel mode de scrutin pour être sûr ».

Combien de fois une décision issue d’un vote vous a-t-elle déçu ? Sans même parler de politique… A l’occasion d’une petite affaire interne, 20 Minutes a eu l’occasion de constater combien il est délicat de tomber d’accord, sans consensus mou. Et en a profité pour faire chauffer la carte de presse en appelant quelques spécialistes du sujet, politologues ou sociologues.

Tous en salle Viagra !

Voyez-vous, en janvier 2016, 20 Minutes a déménagé. , il y a des salles de réunion qui, pour le moment, portent des noms aussi enthousiasmants que A-2, B-1 ou C4.

Grand brainstorming pour trouver des idées de noms de salles plus rigolos, tout le monde y est allé de son idée : leur donner des noms de grandes figures de la presse (salle Zola, salle Albert-Londres…), des noms de choses bleues, comme le logo de 20 Minutes (salle Schtroumpfs, salle Viagra, salle Sonic…).

Plein de bonnes propositions, qu’il va falloir désormais départager. Comment faire en sorte que le consensus ne nous condamne pas à des noms qui, au final, ?



En gros : quel mode de scrutin adopter ? Ça a l’air trivial comme ça, mais « que posent la plupart des systèmes démocratiques contemporains, analyse Blandine Lecourt, chercheuse à l’Institut de recherche et d’innovation. De nombreux chercheurs et politologues travaillent à la question de l’émergence du consensus. »

Il y a en effet de nombreux articles et études sur les moyens , notamment Les chercheurs Rida Laraki et Michel Balinski ont par exemple imaginé un vote par valeur appelé « jugement majoritaire » où chaque électeur donne une mention (de « excellent » à « à rejeter ») à chaque candidat. Le candidat qui la meilleure « mention majoritaire », calculée à partir de la médiane et non de la moyenne, est élu.

Autant vous dire que les moyens intellectuels et les ressources informatiques de notre entreprise ne nous permettent pas d’envisager un tel scénario à 20 Minutes. En fait, si, ce serait possible, mais il y a, étrangement, d’autres dossiers prioritaires.

Un vote simple et rapide

Pour Blandine Lecourt, il faut trouver un système de vote simple pour mobiliser largement. « Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours a de nombreux défauts, mais il a l’avantage de donner un fort sentiment de démocratie et de représentativité puisque c’est celui utilisé en France pour l’élection présidentielle, la seule élection qui intéresse une majorité d’électeurs… » Néanmoins, le risque, avec ce mode de scrutin, est de voir s’opposer au second tour, deux propositions qui n’enthousiasment qu’une minorité de l’entreprise et laissent de marbre la majorité.

Un employé de 20 Minutes a proposé que les noms de salles portent des noms d’onomatopées. Mais que faire si la salle Wahou ne recueille que des « Ouais, bof » ?



André Plais, professeur de science politique à l’université de Montréal, rappelle que certains modes de scrutin alternatifs renforcent le sentiment d’adhésion : « Certaines démocraties modernes utilisent encore des votes à main levée, c’est parfois le cas d’ailleurs, voire le vote par acclamation, . » Tout bien considéré, Blandine Lecourt nous recommande donc un vote uninominal majoritaire à deux tours dont le second par acclamation.

Allô Lille, on est en salle Marseille

Pourquoi pas. Hélas, certains employés de 20 Minutes travaillent dans d’autres villes. Une proposition plutôt sage envisage d’ailleurs de baptiser nos onze salles de réunion des noms des villes où 20 Minutes a une rédaction : Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux…

« Il faut vous demander si les employés de l’entreprise qui ne travaillent pas au siège parisien ont le droit de vote, explique Blandine Lecourt. Les scrutins sur l’indépendance de l’Ecosse ont récemment montré qu’on pouvait choisir d’exclure ou d’inclure des personnes. Pour le cas de l’Ecosse, … Vous pourriez décider d’exclure les employés des régions et d’inclure les prestataires extérieurs. »

Oui mais non. Tout le monde doit pouvoir voter. On aime nos rédactions locales. D’où la première solution : vote à deux tours uninominal dont un second tour éventuellement par acclamation (avec nos localiers au téléphone, sur haut-parleurs)

Trop de bonnes idées tuent LA bonne idée

Laureline Des Roches, chercheuse en sciences politiques à Lausanne, pense qu’une solution pourrait être d’organiser un vote avec la possibilité . « Ce système permet d’éliminer les propositions qui heurtent vraiment certaines personnes. »

Il y a en effet plusieurs propositions qui font bien rire certains employés, mais qui déplaisent franchement à l’autre partie de l’entreprise. Deux des propositions les plus populaires envisagent de nommer les salles avec des jeux de mots (salle Sifi, salle Migondi, salle Tauhavant…) ou avec des noms totalement incongrus (salle de Muscu, salle des Profs, salle de Bains…). De nombreux employés (notamment ceux qui utilisent peu les salles de réunion) trouvent ça très amusant. Mais bien sûr, certains cadres de 20 Minutes appréhendent de convier leurs partenaires commerciaux à une réunion en « salle des Machines » ou en « salle Migondi »…



« Cette formule des votes positifs et négatifs est intéressante, mais il faut éviter de voir les gens multiplier les votes négatifs. Cela donne l’impression d’un élu par défaut. Avec une dizaine de candidats, je suggère un système où chaque votant dispose de trois voix positives et d’une voix négative lors d’un premier tour. Si une proposition recueille plus d’un tiers de voix négatives, elle est éliminée. Si une proposition recueille plus de la moitié des suffrages positifs, elle l’emporte. Sinon, vous organisez un second tour. »

En gros, si les deux tiers des votants n’y voient pas d’inconvénient, on pourra se réunir en salle Sadudémon pour décider de la une du lendemain.

Nous voilà donc avec une seconde possibilité : un vote avec trois voix chacun (deux positives, une négative). Et un éventuel second tour traditionnel.

Qui vote pour l’absence de vote ?

« Les plus récents travaux, notamment , sur l’émergence du consensus recommandent et de privilégier les groupes de travail, analyse André Plais. Une bonne conversation vaut souvent mieux qu’un vote qui frustre souvent au moins un votant sur deux. »

Il y a en effet une proposition qui exploite l’aspect des salles de réunion, vitrées, qui ressemble à des vivariums. Les salles porteraient alors le nom de reptiles et insectes. Salle Vipère du Gabon, salle Couleuvre, salle Scarabée… Mais il y a, dans l’entreprise, des personnes qui ont une peur panique des reptiles. Elles ne sont pas nombreuses mais, pour elles, la gêne serait très forte s’il fallait se réunir en salle Python chaque lundi matin par exemple. Une décision collégiale argumentée permettrait d’éviter ce désagrément.



« Vous êtes trop nombreux pour discuter de ça tous ensemble, mais la direction pourrait choisir un jury de sept personnes pour choisir parmi les dix propositions les plus populaires, estime Blandine Lecourt. Ou mieux, vous tirez au sort les sept représentants. Charge à eux de recueillir le sentiment de leurs collègues et de les restituer au mieux au moment du débat en table ronde. Cette méthode a le mérite d’éviter l’organisation d’un vote, et de faire émerger une solution concertée. »

Ce qui nous fait donc deux autres possibilités, sans vote :

- Choix après délibération d’un jury tiré au sort
- Choix après délibération d’un jury choisi par la direction

Et maintenant ?

Passé leur étonnement d’être contactés pour parler d’autre chose que des primaires de la droite, l’ensemble des politologues contactés pour cet article reconnaissent que la démarche est dangereuse. Blandine Lecourt ne comprend pas pourquoi la direction n’a pas pris une décision unilatérale sur le sujet. Pour André Plais, « c’est l’occasion d’éprouver la difficulté du consensus sur un projet qui n’est pas rationnel, mais émotionnel ».

Laureline Des Roches s’amuse de certaines propositions (non retenues) et du fait que la direction de 20 Minutes ait laissé faire un truc pareil : « Et du coup, maintenant, comment vous allez faire pour choisir le système de scrutin ? Vous allez organiser un vote ? »

Argh…