ARTQue se disent deux artistes quand ils se rencontrent ?

Que se disent la peintre Lydie Arickx et le street artist Zevs quand ils se rencontrent ?

ARTCeci n’est pas une devinette, mais le compte-rendu d'une vraie rencontre entre deux artistes actuellement exposés à Paris…
Lydie Arickx au travail à la Conciergerie, à Paris et Zeus bombe l'objectif
Lydie Arickx au travail à la Conciergerie, à Paris et Zeus bombe l'objectif - Alex Bianchi et Benoît Pailley
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

Lydie Arickx peint et s’expose en même temps, , à Paris. L’artiste a installé d’immenses toiles sous les hautes voûtes de la salle des Gens d’armes à l’invitation du Centre des Monuments Nationaux. Chaque jour, elle peint, .

A l’autre bout de Paris,, lui aussi invité par le Centre des Monuments Nationaux, Zevs expose plusieurs œuvres, pour le lieu : le château de Vincennes. L’artiste, connu pour ses prestations de street art, a notamment investi le donjon et la chapelle.

Lydie Arickx et Zevs ne sont pas de la même génération (l’une est née , l’autre ), ils n’ont pas les mêmes méthodes de travail, ni les mêmes références. Mais en ce moment, seules onze stations de métros parisiens les séparent. Et c’est à la Conciergerie que 20 Minutes a organisé la rencontre. Chaleureuse, enthousiaste, riche.

Petit jeu : saurez-vous distinguer, dans cette liste, les questions posées d’artiste à artiste de celles posées par le journaliste ?

«  - Tu utilises quel genre de matériel pour avoir cet effet de matière ? - Comment avez-vous appréhendé ce lieu chargé d’histoire ? - Comment ça se passe pour toi avec les galeries ? - Que pensez-vous de la popularité et de l’institutionnalisation de la scène Street Art ? - C’est quand même très sombre ici, et pas super-aéré, tu n’as pas mal à la tête à la fin de la journée ?  »

Bon, c’était facile. , d’autres pas.

Tronçonneuse et pigments

Lydie Arickx a, quelques jours auparavant, découvert l’exposition de Zevs à Vincennes : « Ton expo m’a fait beaucoup de bien ? Tu as joué fin. Tu t’es particulièrement bien adapté au lieu. Tu as tiré parti de l’architecture et offert un contrepoint osé, mais juste. » Aguirre Schwarz (nom de Zevs) encaisse le compliment. Puis découvre les impressionnantes toiles sen cours de réalisation de Lydie Arickx qui lui montre des sculptures sur blocs de graphite :

«  - C’est une sorte de mine crayon très dense. A travailler, c’est délicieux, c’est très doux, c’est jubilatoire. - Tu utilises quel genre d’outil ? - Des burins ou une tronçonneuse. - Mmm…  »

Devant les toiles, Zevs se penche sur des taches jaune vif.

«  - Comment tu fais cet effet-là ? - J’utilise de la pâte pigmentaire. C’est naturel, complètement écolo. Tu as vu, ça donne une chromie presque fluo. Normalement, les fournisseurs vendent ça en tout petits pots mais moi je leur en commande dans des gros pots pour pouvoir étaler de grosses quantités comme ça. - On peut faire ça ? Commander des contenances spéciales ? - Ben oui.  »

Puis, le street artiste interroge son aînée sur l’expérience de travailler en présence du public.

«  - Le regard des gens offre une autre dynamique à la création. J’adore ces ateliers nomades. Même si j’ai la chance d’avoir chez moi un formidable atelier très ouvert sur la nature. Là le public passe et assiste à quelque chose. Mais moi aussi en quelque sorte, j’assiste à mon travail. Ça me remet à un état de commencement, ça me redonne une énergie formidable. Peut-être que tu ressens la même chose quand tu peins dans la rue ? Ça donne une force d’oser quelque chose d’interdit. - Il y a un paradoxe dans le fait de créer dans la rue. Il faut être discret, furtif et en même temps travailler à se rendre très visible. Pour me cacher, parfois, je mettais un ciré jaune super-voyant. Les gens pensaient que j’avais probablement une autorisation puisque j’avais une sorte d’uniforme de travailleur urbain. Je pouvais me fondre dans les codes de l’activité urbaine. Parfois, j’entourais même l’endroit où je travaillais avec des plots et des rubalises.  »

La conversation dérive vers la particularité des lieux investis par les deux artistes. L’une et l’autre se sentent « portés par l’émotion des traces de l’histoire » dans ces « lieux de douleurs et d’enfermement ». Zevs a joué, dans son installation, de l’ambivalence du château de Vincennes dont « le donjon a été une résidence puis une prison. »

« Je manque d’air, d’horizon. A la fin de la journée, je suis plus fatiguée qu’habituellement, raconte Lydie Arickx à propos de la Conciergerie où elle se sent comme « immergée dans les bas-fonds de la souffrance, même si l’endroit est très beau. Ces lieux, on les conjugue au présent, on les voit palpiter, on vient y habiter pour donner une autre vision de l’histoire. »

Sans carte mais avec un balai

Zevs est particulièrement curieux de savoir comment Lydie Arickx envisage son travail de création in situ.

«  - La prise de risque est énorme pour moi, j’ai plongé dans deux cimaises vierges. Le défi physique est presque douloureux. Je n’ai pas fait de croquis préparatoires, je me fie à mon inconscient tellurique. Le geste dicte la forme. - Quand je travaille sans avoir fait de repérages et sans plan préétabli, la ville me donne des flux, des visions ? Il y a une force qui me prend. - C’est le plus difficile mais aussi le plus agréable de rester ouverte à l’instinctif. Ici, la taille des toiles m’a donné l’idée de peindre avec un grand balai-brosse. - Ah, c’est avec ça que tu fais ces espèces de grandes griffures ! C’est très beau. - Ça crée des reflets dans la matière que j’adore. - Oui, il y a un jeu de lumière dans les rayures. - J’utilise une peinture irisée que je griffe avec mon balai de sorcière, comme un grand monstre.  »

Lydie Arickx et Zevs discutent aussi de leurs débuts, de leurs motivations de jeunesse, des déclics… Puis un petit peu des galeries, de la difficulté d’adapter certaines œuvres au marché de l’art. « C’est un autre contexte, juge Aguirre Schwartz. L’art doit s’adapter à l’endroit où il va aller. »

La conversation se poursuit et pourrait durer encore. Mais ils ont du travail.