On a regardé «Casual», «Togertherness» et «Catastrophe» en 2066, et ça a bien mal vieilli
SERIES•Les séries qui mettent le couple à l'honneur cartonnent aujourd'hui. Mais qu'en diront les observateurs du futur?Benjamin Chapon
Casual, Togertherness, Catastrophe… Le couple et ses dérives sont au cœur des intrigues de plusieurs séries à succès. Chacune d’entre elles observe la prétendue modernité des relations amoureuses. Les doutes, les errements, les archaïsmes… Dans Casual, une mère séparée, son frère romantico-cynique et sa fille mi-paumée mi-délurée assurent le spectacle. L’attelage de Togertherness mêle également histoires de couple et de famille, de lose amoureuse et de remises en question préquarantaine. Enfin Catastrophe montre comment se forme un couple qui a fait un enfant sans vraiment se connaître puis essaye de vivre ensemble.
Ces séries, humoristiques mais pas trop, auscultent les relations amoureuses en malmenant le concept de couple. Un frère peut-il tenir lieu de mari, sinon d’amant ? Un couple peut-il être sauvé par le spectacle du malheur de ses amis ? Faire des enfants suffit-il à faire un couple ? Toutes ces questions sont posées dans ces séries bien fichues, bien écrites et très ancrés dans notre époque.
Comme avec les jeunes couples, on peut se demander comment elles vieilliront. Pour imaginer ce qu’un critique de 20 Minutes dirait de ces trois séries en 2066, on a lu des ouvrages sur l’avenir des relations amoureuses, interrogé un psychiatre spécialiste de l’évolution postmoderne des « engagements humains » et lu pas mal* de blogs prospectifs du New York Times, et d’autres moins avouables (procrastination, level 442).
Attention, à partir de maintenant, vous êtes en 2066
2016 a été une année charnière dans l’histoire des séries postromantiques. Casual, Catastrophe et Togertherness (qui s’est arrêtée là) en étaient à leur deuxième saison et les médias de l’époque y voyaient la preuve que la notion de couple, interrogée dans ces trois séries, était en train de voler en éclat, ou de muter.
Qu’enseigne le visionnage de ces séries au spectateur de 2066 ? A part que le formatage de 26 minutes, définitivement ringard, était un must de l’époque… En 2016, des ados qui se laissent aller à une expérience de triolisme (avec un noir en plus, ohlala), c’est piquant. Un couple qui conçoit un enfant lors d’une aventure purement sexuelle, ça arrivait encore. Les femmes de plus de 35 ans qui ne sont pas en couple et qui veulent tout de même avoir une vie sexuelle, c’est suspect. Bref, 2016, tu ressembles au moyen âge.
Outre les mœurs désuètes de leur époque, ces séries sont également très datées par leur « décor ». Pour bien les ancrer dans une modernité, leurs créateurs les ont truffées de clins d’œil sur les us et coutumes des années 10. On est amusé de voir des maisons non connectées bien sûr, et des séances psy à l’ancienne (avec le divan, et tout). Ce décalage est plutôt charmant.
En revanche, la distance ironique des personnages est parfois crispante. C’est notamment le cas dans Casual, où les personnages sont tellement cool avec leur cynisme anti-modernité. On ne prend pas un taxi mais un Uber. On délaisse Facebook pour Instagram (pour les plus jeunes lecteurs, merci de demander ce qu’était Instagram à vos grands-parents). Les adeptes du régime paléo sont des idiots. Les activités sportives et la spiritualité sont un passe-temps de crétins.
Catastrophe est peut-être la série qui s’en sort le mieux avec un couple qui conchie les convenances maritales malgré l’inconfort que cela génère. Sans concession avec leurs familles et leurs (rares) amis, ils vont à l’encontre des valeurs du début du siècle. Incroyable coup de force scénaristique, leur situation « amoureuse » naît d’un twist particulièrement désuet, même pour l’époque : concevoir un enfant, et le garder, sans l’avoir voulu.
Ces comédies romantiques peinent aujourd’hui à vraiment nous toucher parce que leurs personnages sont encore coincés dans des schémas sociaux que nous ne comprenons plus. Leur égocentrisme et leur vision du couple, archaïque, nous agacent parce que leur prétendue souffrance nous semble dérisoire. Bref, ces séries n’arrivent pas à la cheville des chefs-d’œuvre que furent, à la même époque, Parents, mode d’emploi ou Grey’s Anatomy.
*Nos sources
Ces réflexions s’appuient notamment sur la lecture de Pourquoi l’amour fait mal : L’expérience amoureuse dans la modernité, de Eva Illouz et Solo/No solo. Quel avenir pour l’amour ? de Fabienne Kraemer, ainsi que sur un entretien avec le psychiatre Georges Perrin.
Outre une libéralisation inexorable des mœurs, les ouvrages prospectifs imaginent des relations humaines plus ouvertes, une augmentation du temps libre et donc des interactions sociales. «Les pratiques sportives et culturelles seront largement plus développées et considérées moins comme un marqueur social que comme source de plénitude personnelle», estime Georges Perrin.
Les quelques délires économico-technologiques (victoire in fine de Facebook sur les autres réseaux sociaux, abolition des formats télévisuels fermés, banalisation de l'uberisation...) ont été inspirés par les lectures de divers blogs sur le sujet.