Enfants morts, communautés divisées, coins paumés… Les faits divers français qui devraient inspirer les créateurs de séries
SERIES•Le fait-diversier de « 20 Minutes » nous a dégotté quelques affaires judiciaires...Benjamin Chapon
Le succès, mérité, de The Night Of, série judiciaire diffusée actuellement en France sur OCS, est un énième exemple de l’excellent état de santé du genre. Ces dernières années, plusieurs séries judiciaires ont revivifié ce canevas que l’on croyait usé jusqu’à la corde. On peut citer, en vrac, les séries documentaires Making A Murderer sur Netflix, O.J. : Made In America sur ESPN, American Crime Story sur FX… On peut même remonter à Broadchurch sur ITV ou True Detective, sur HBO.
Ces séries ont en commun de trouver l’équilibre entre traitement de l’affaire judiciaire et arrière-plan sociopsychologique, entre le suspense lié à l’enquête et l’empathie à l’égard des personnages. Surtout, ces séries ont des réalisations soignées, voire chiadées, avec des atmosphères visuelles immédiatement reconnaissables, des dramaturgies audacieuses, des interprètes impeccables. Bref, ce sont des top séries.
Mais malgré tout, auraient-elles connu les mêmes succès critiques et d’audience si elles avaient traité de banales affaires de vols de téléphone portable ?
Le crime était presque parfait
Si l’on se réfère aux séries citées plus haut, on peut dresser un portrait-robot de l’affaire criminelle « idéale » pour être adaptée en série télé. Par exemple, la victime doit être à la fois très « universelle » par son statut, son âge ou les circonstances de sa mort (l’enfant de Broadchurch par exemple) et très « clivante » par un des aspects de sa personnalité (son origine sociale ou un handicap par exemple). On pense là à l’accusé/victime de Making a Murderer que l’on plaint parce qu’il est victime d’une erreur judiciaire gravissime mais dont on craint qu’il ait ensuite commis un crime atroce.
Autre point commun de nombreuses séries judiciaires réussies, les affaires traitées divisent la société et éclairent son fonctionnement avec un présumé coupable et/ou une victime qui soient les symboles de communautés qui s’opposent.La saison 2 de American Crime Story opposait ainsi les élèves, et leurs parents, noirs et aisés d’une école avec l’un des seuls élèves blanc, et pauvre, victime présumée d’un viol collectif lors d’une fête d’étudiants.
Certaines des séries les plus réussies délaissent les portraits des victimes pour s’attarder sur celui des enquêteurs ou des avocats. C’est le cas évidemment dans Broadchurch et True Detective où, à chaque fois, les duos d’enquêteurs tiennent la vedette.
Enfin, le décor est presque toujours un personnage central de l’intrigue. Que ce soit Los Angeles dans O.J. : Made In America ou New York dans The Night Of, les villes se tiennent les enquêtes sont explorées sur un mode sociologique. Dans un autre genre, la petite station balnéaire de Broardchurch joue un rôle important dans la manière dont les rumeurs s’y propagent et les secrets s’y enterrent.
L’Yonne, le Pas-de-Calais, l’Europe…
On a demandé au fait-diversier de 20 Minutes, Vincent Vantighem ( il ne connaît rien à Game of Thrones mais on lui pardonne), de farfouiller dans sa mémoire pour nous dégotter trois faits divers français qui remplissent tout ou partie de ces critères. Verdict.
L’affaire Treiber. Le meurtre, particulièrement atroce, d’un couple de jeunes femmes dont l’une est la fille d’un acteur français, n’a jamais été adapté en série, sans doute parce qu’il reste de nombreuses zones d’ombre. Le seul suspect, Jean-Pierre Treiber, s’est suicidé en prison avant son procès. Cela dit, l’affaire présente de nombreux éléments que des scénaristes pourraient exploiter : des soupçons de machination familiale, l’évasion rocambolesque (dans un carton !) du suspect qui passera deux mois en cavale caché dans les bois, la personnalité étrange de Jean-Pierre Treiber, le département de l’Yonne, déjà associé à une autre affaire sordide des enlèvements, viols et meurtres perpétrés par Emile Louis…
L’affaire de Bruay en Artois. Cette affaire (le meurtre d'une jeune fille de 15 ans), aujourd’hui prescrite et non résolue, a eu lieu dans les années 1970 dans le Pas-de-Calais et a durablement marqué la mémoire collective, à tel point que le village a dû changer de nom. Outre une peinture de la société française rurale de l’époque, une série sur cette affaire permettrait de montrer un cas d’école d’affaire judiciaire où l’opinion publique et médiatique joue des rôles primordiaux. L’inculpation, puis l’incarcération d’un couple, illégitime, de suspects par un juge d’instruction appelé « le petit juge », ont été jugées comme un exemple typique d’erreur judiciaire. Le principal suspect est notaire, et notable, sa maîtresse et complice présumée est la fille d’un gros marchand local. La victime est une adolescente d’origine modeste. Le juge est l’un des premiers adhérents du tout jeune Syndicat de la magistrature. Le climat politique tendu de l’époque a joué un rôle important dans cette affaire où chaque personnage tient un rôle archétypal. Charge aux scénaristes d’en tirer une série qui casse les lieux communs sur la lutte des classes.
Le tueur au Polaroid. Volker Eckert est probablement l’un des pires tueurs en série européen. Au volant de son camion, ce routier allemand a été condamné pour plusieurs meurtres commis sur des prostitués sur les autoroutes européennes qu’il empruntait entre l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie… Cette affaire a engendré des enquêtes dans ces différents pays et des coopérations plus ou moins réussies entre services de police. Une série sur ces meurtres pourrait insister sur le caractère fétichiste particulièrement malsain des meurtres de Volker Eckert mais également sur la coopération entre enquêteurs aux méthodes et habitudes différentes.