On a compris l’expo Houellebecq grâce à «La Carte et le Territoire»
EXPO•Michel Houellebecq présente ses obsessions au travers d'une exposition événement, «Rester vivant», à partir du 23 juin au palais de Tokyo à Paris…Annabelle Laurent
Poète, essayiste, romancier, réalisateur, chanteur… Voici le Houellebecq photographe. Le plus misanthrope - et le plus lu à l’étranger - des écrivains français est à l’honneur au Palais de Tokyo, où il remplit 1.000m2 de toutes ses obsessions, de la vacuité de l’existence à l’érotisme en passant par l’industrie du tourisme ou la cigarette, autorisée dans un fumoir aménagé à mi-parcours…
Si une expo d’art contemporain peut désarçonner, que dire d’une expo de Houellebecq ? Parce qu’il ne s’est jamais intéressé d’aussi près au milieu de l’art contemporain que dans La Carte et le Territoire, couronné du Goncourt en 2010 - et même si ses thèmes se repètent dans bien d'autres de ses romans, on s'est servi de celui-ci comme guide.
Pourquoi… exposer ?
« « Vient toujours un moment où l’on éprouve le besoin de montrer son travail au monde, moins pour recueillir son jugement que pour se rassurer soi-même sur l’existence de ce travail, et même sur son existence propre. » La Carte et le Territoire »
Michel Houellebecq fait des photos depuis le début des années 1990. L’idée de les rendre publiques est venue de Jean de Loisy, le président du Palais de Tokyo, qui avait « initialement imaginé une exposition sur Houellebecq, mais cela s’est transformé jusqu’à être une exposition de lui », commentait mercredi le commissaire.
Houellebecq s’entoure en effet d’autres artistes, dont les plus présents sont le plasticien Robert Combas, qui a créé des toiles d’art brut à partir de ses poèmes, et le couturier Maurice Renoma, chargé de la scénographie d’un « cabinet d’érotisme ». Un egotrip avec quelques trêves, donc.
Pourquoi… « Faites vos jeux » en préambule, et « Nous habitons l’absence » en conclusion ?
« « La vie vous offre une chance, parfois, se dit-il, mais lorsqu’on est trop lâche ou trop indécis pour la saisir, la vie reprend ses cartes. Il y a un moment pour entrer dans un bonheur possible (…) mais il ne se produit qu’une fois et une seule, et si l’on veut y revenir plus tard, c’est tout simplement impossible, il n’y a plus de place pour l’enthousiasme, la croyance et la foi. » La Carte et le Territoire »
On ne comptait pas sur Houellebecq pour nous remonter le moral. « Il est temps de faire vos jeux » ouvre l’exposition, et « Nous habitons l’absence » en sont les derniers mots. « Sans doute la clé de l’inquiétude houellebecquienne », glisse le commissaire.
Légendaire dépressif, l'écrivain concède – dans sa note d’intention - offrir un « démarrage plombant, non dénué de radicalité », avec des premières pièces plongées dans le noir, un crâne, des photos de paysages rocheux post-apocalyptiques et des messages tels que : « Je n’avais pas davantage que la plupart des gens de raisons de me tuer ».
La suite ? « Un goût évident pour le n’importe quoi mégalomane, indique encore Houellebecq, avant une fin « évanescente » où « un romantisme crépusculaire intrusif se dégage ».
Pourquoi… aucun portrait ?
« « Les photographes exaspéraient Jed [le héros du roman, photographe et peintre]. En particulier les grands photographes, avec leur prétention de révéler dans leurs clichés la vérité de leurs modèles ; Il les considérait comme à peu près aussi créatifs qu’un Photomaton. » La Carte et le Territoire »
Houellebecq ne croit pas aux portraits, encore moins à leur pouvoir de capturer « l’essence » des personnes. A l’exception des deux femmes exposées dans le cabinet d’érotisme, pas une âme humaine ne flotte dans ses clichés. Un péage, un snack-bar désert, une barre d'immeuble ou un champ sous la pluie, une vache : voilà les héros des photos de l’écrivain. Tout juste s’autorise-t-il les couleurs saturées dans l’espace étonnant qu’il a imaginé pour le tourisme. On y marche sur un tapis de sets de table plastifiés de type « I love Normandie », tous plus kitsch les uns que les autres.
Pourquoi… cette pièce entière consacrée à son chien mort ?
« « Le chien est une sorte d’enfant définitif, plus docile et plus doux, un enfant qui se serait immobilisé à l’âge de raison, mais c’est de plus un enfant auquel on va survivre. » La Carte et le Territoire »
La dernière pièce de l’exposition est de loin la plus... déconcertante ? Absurde ? Consternante ? Vous en jugerez. Houellebecq la consacre à son chien Clément, mort en 2011. A l’entrée, la photo de sa tombe, au cimetière animalier d’Asnières. Au sol, une épaisse moquette écossaise. Au centre, une vitrine où sont exposés les jouets, soigneusement légendés d'étiquettes (« Girafe », « Babar », « Ours Brun »…). Au mur, une vingtaine d'aquarelles représentant Clément, réalisées par son ex-femme Marie-Pierre Gauthier. Sans oublier un diaporama agrémenté d’une texte lu par Iggy Pop himself, intitulé « A machine for loving », en écho à l'expression «machine à aimer» employée dans La possibilité d'une île pour décrire l'animal, si central dans la vie et l'oeuvre de l'écrivain.
Une salle « très bizarre, glisse le commissaire. Michel l'a voulue comme une métaphore sur l’amour absolu ». Là-dessus, il nous a absolument perdue.