Thomas Weill
Quand vous rentrez du boulot, qu’est-ce que vous faites chez vous le soir ? Vous êtes plutôt « Netflix and chill », ou vous êtes du genre créatif ? Si jamais l’envie vous prend d’enfin accomplir votre rêve de devenir romancier, vous risquez d’être confronté à un problème. Il est tard, vous avez travaillé toute la journée, la flemme.
Kerouac a écrit son roman Sur la route d’une traite, en trois semaines. Georges Simenon est réputé pour avoir écrit de nombreux bouquins en huit à dix jours. Mais vous, vous avez un autre travail, vous n’avez pas le temps. Pas facile de gérer sa vie professionnelle et sa vie sociale tout en aspirant à devenir auteur. Bertrand Latour y est pourtant parvenu. D’après lui, « pour écrire sérieusement », trois semaines ne sont pas suffisantes pour n’importe qui. Lui, il préconise « entre 1 000 et 2 000 heures » de travail.
Dans le dos de mes patrons
« J’ai commencé à écrire quand j’étais fonctionnaire à Paris, se souvient-il. Je louais un studio à côté de mon lieu de travail. Entre midi et deux je rentrais chez moi pour écrire. Comme mon travail n’était pas très exigeant intellectuellement, je me débrouillais aussi pour écrire au boulot, dans le dos de mes patrons. Ça créait quelques tensions », commente-t-il.
Aujourd’hui publié dans des grandes maisons d’édition, comme Flammarion ou Hachette littératures, Bertrand Latour offre aussi ses services aux apprentis auteurs, pour les coacher. « Aujourd’hui, tout le monde veut écrire. Les gens que je coache me disent souvent qu’ils ne pensaient pas que ce serait aussi long », déclare-t-il. Et comme tout le monde n’a pas forcément envie comme Bertrand Latour d’écrire sur son lieu de travail, ce dernier livre une astuce. « Le conseil que je veux donner, c’est de travailler à heure fixe. Il ne faut pas attendre que l’inspiration vienne vous visiter, mais plutôt se donner des plages horaires précises, se dire tous les matins avant le boulot, et j’essaie d’écrire. »
Ecrire seul…
Le matin avant le boulot, ou plutôt le soir, comme a choisi de le faire Corentin. Cet ingénieur de 31 ans écrit depuis ses années d’étudiants et continue de mener cette double vie maintenant qu’il travaille. Forcément, écrire le soir après le boulot comme il le fait nécessite des sacrifices. D’ailleurs, lui-même le reconnaît, « je sors mais je pense que j’ai une vie sociale moins développée que la moyenne ». Un sacrifice ? Pas vraiment. « Je suis insomniaque, ça m’aide. Mais j’imagine aussi beaucoup de choses, et j’ai besoin d’écrire, c’est un exutoire. Dans les périodes où j’écris beaucoup, j’y consacre au moins deux heures le soir en semaine, et je vais y passer mes après-midi le week-end. »
aNécessairement, l’acte d’écrire se fait seul. Du point de vue de Bertrand Latour aussi, « arrive toujours un moment où il faut s’isoler, s’immerger dans le personnage pour sortir quelque chose de bien ». Pourtant, tous les aspirants écrivains ne font pas ce choix-là. C’est le cas de Roxane, 26 ans, qui travaille dans le milieu de la culture. Depuis le début d’année la jeune femme travaille à l’écriture d’ un conte. Mais plutôt que de s’isoler pour écrire elle se réunit avec des amis à elle qui partagent la passion de la plume.
… Ou à plusieurs
« Tous les quinze jours, on se retrouve à quatre le week-end et on essaie d’avancer collectivement. Ce sont des personnes en qui j’ai confiance, le processus d’écriture peut parfois être très intime ». Les quatre amis se font éditeurs tour à tour, ils partagent des idées, corrigent des tournures de phrases, ou simplement écrivent côte à côte. « C’est souvent très constructif d’avoir leur opinion, et ils me permettent de surmonter les doutes et les difficultés que je rencontre, commente Roxane. Pour se motiver, on se donne aussi des petits exercices comme travailler la description d’un personnage ou imaginer un dialogue. »
En plus de son « atelier d’écriture » comme elle l’appelle, la jeune femme note toutes les idées qui lui passent par la tête. « J’ai un carnet entier rempli par mes petites idées. Il faut profiter de son inspiration, c’est une opportunité qu’il faut saisir. Si elle me vient au travail, je la note et je reviens dessus le soir. »
Ecrire en groupe ou seul, à heures fixes, parfois en sortant moins pour répondre à l’appel impérieux de la plume, les conseils sont légion. Il faut bien considérer qu’écrire prend du temps (deux ans par roman pour Corentin), mais après tout, comme le dit l’ingénieur, « beaucoup de gens passent beaucoup de temps à ne rien faire. On a tous une grande réserve de temps, et j’utilise la mienne à écrire ». Le meilleur conseil pour trouver le temps d’écrire tout en exerçant une activité professionnelle est donc de s’interroger sur ses motivations. Sans réelle envie, il sera sûrement plus difficile de prendre le temps d’avoir le temps.