Œuvres d’art in situ: Qui a la plus grosse ?
GIGANTISME•JR au Louvre, Buren à la fondation Vuitton, Orlinski à Chamarande… Les œuvres d’art géantes fleurissent un peu partout…Benjamin Chapon
35,42 mètres de large sur 21,64 mètres de haut pour JR…
13,500 m2 pour Daniel Buren…
Plusieurs milliers de m3 d’eau pour Olafur Eliason…
Plus c’est gros plus ça marche ? C’est sans doute le calcul de nombreuses institutions parisiennes qui, pour leur programmation d’été, ont convié des artistes à créer des œuvres monumentales.
Passée la première impression, mauvaise, voire traumatique, les touristes postés devant la pyramide du Louvre admettent qu’il y a, malgré tout, moyen de prendre quelques photos amusantes. L’artiste JR, désormais habitués aux opérations gigantesques et un brin vaniteuses,a recouvert la pyramide de Ieoh Ming Pei d’affiches qui, par un effet d’optique tout bête, l’efface en quelque sorte. Grâce à une anamorphose en noir et blanc, placé pile face à la pyramide, on croirait voir le palais du Louvre qui se trouve en arrière-plan.
Egalementprésent au Centre Pompidou, là encore avec une proposition ludique et participative, JR est une star de l’art spectaculaire in situ. Récemment, il recouvrait le dôme du Panthéon en travaux avec des photos, noir et blanc toujours, d’anonymes. Rien à voir cependant avec le succès attendu par son installation au Louvre. Déjà, de très longues files d’attentes se forment devant la pyramide pour pouvoir immortaliser son absence.
Grosses œuvres, microscopiques polémiques
Mais le très joli coup médiatique du Louvre a de la concurrence. Le gigantisme est devenu la norme en matière d’art contemporain dans l’espace public. Après 14 ans de Nuit Blanche, les parisiens en ont pris l’habitude. A Versailles, en revanche, même si la « tradition » n’a que huit ans d’ancienneté, les performances annuelles d’artistes contemporains dans le château et ses jardins continuent de susciter des polémiques. Sept ans après Jeff Koons, l’an dernier, l’œuvre d’Anish Kapoor, Dirty Corner, surnommé « vagin de la reine » par ses détracteurs, des fondamentalistes catholiques, avait été vandalisé à de nombreuses reprises.
Cette année,c’est l’artiste Olafur Eliasson, qui expose à Versailles. Ses installations optiques, visibles à partir du 7 juin 2016, ne devraient pas provoquer de réactions aussi épidermiques.
Mais il n’y a pas que le Louvre et le château de Versailles à jouer la carte du gigantisme. Daniel Buren a ainsi « repeint » l’immense nef de verre de la fondation Louis Vuitton. Certifié mètre étalon en matière de démesure artistique depuis 1986, Daniel Buren a réinventé la splendide architecture de Frank Gehry avec un kaléidoscope de couleurs intitulé Observatoire de la lumière. Les 2, 3 et 4 Juin, la plaine face à la fondation accueillera en outre BurenCirque, une ancienne installation mêlant art contemporain et cirque sous trois chapiteaux.
Changer le regard
Pourquoi ce gigantisme ? Créer l’événement. Personne ne s’en cache. Ni le musée du Louvre, ni le château de Versailles n’ont de problème de fréquentation, si ce n’est un trop-plein, un petit coup de pub ne fait jamais de mal. Sans juger de la qualité des œuvres de JR ou Olafur Eliasson, on peut noter leur propension à générer du selfie.
La chose est d’autant plus cocasse dans le cas de JR. « Mon œuvre a pour vocation de remettre en question le réflexe du selfie, affirme-t-il. Aujourd’hui, les gens posent devant ce monument, en lui tournant le dos. Avec ce collage sur la pyramide, il faut trouver la meilleure position pour voir l’anamorphose, ou au contraire la déconstruire. L’œuvre permet donc ce déplacement physique mais aussi de l’imaginaire, du regard, des idées… J’espère qu’il y a une image qui restera dans l’inconscient collectif : celle où la pyramide n’a plus existé. »
Olafur Eliasson aussi espère provoquer « un regard différent » en exposant dans un cadre majestueux. « Le Versailles dont j’ai rêvé invite les visiteurs à prendre le contrôle de leur expérience au lieu de simplement consommer et être éblouis par la grandeur », lors de la conférence de présentation de l’événement. Il leur demande « d’ouvrir les sens, de saisir l’inattendu, de flâner à travers les jardins, et de sentir le paysage prendre forme à travers leur mouvement ».
Et bien sûr, Daniel Buren, inventeur supposé du terme « in situ », permet avec son œuvre de « porter un nouveau regard sur le bâtiment de Frank Gehry ».
Maintenant, ça vaut le détour
L’enjeu est touristique, bien plus qu’artistique. Ces institutions espèrent attirer les visiteurs étrangers, dragués de toutes parts en période estivale, avec une proposition artistique insolite et photogénique.
A 20Minutes, Brian Maurice, responsable d’un fameux voyagiste proposant des balades à vélo dans Paris confie que « le passage devant la pyramide du Louvre pour voir l’œuvre de JR est déjà réclamé par un client sur deux. On va devoir y augmenter le temps de pause. C’est compliqué parce qu’on ne peut pas se garer juste devant. On va aussi devoir sans doute passer devant la fondation Vuitton, même si c’est un gros détour. La presse américaine parle beaucoup de l’œuvre de Buren, et nos clients sont américains… »
Le gigantisme est à la mode
Avec la biennale Estuaire puis Le voyage à Nantes, parcours d’œuvres d’art contemporain in situ, Nantes joue cette partition depuis quelques années déjà avec un grand succès touristique. Le Centre des monuments nationaux a également fait appel à l’art contemporain pour stimuler ses sites en 2012.
Pendant ce temps-là, d’autres institutions, plus discrètes, continuent un travail en faveur de l’art contemporain in situ engagé depuis de nombreuses années. Non sans céder, bien sûr, à la mode du gigantisme. Le domaine de Chamarande accueille ainsi une rétrospective Orlinski dont les sculptures géantes ont été disposées dans le parc. Quant à l’Abbaye de Fontevraud, elle a commandé, pour son festival La cité idéale, une création à l’atelier Barreau et Chardonnet. Cette création consiste en d’immenses cônes figurant des mamelles, et faisant écho aux coupoles en pommes de pin de l’abbaye, en bois. Subtilité amusante, le visiteur pourra, en pressant une tétine à veau disposé au bout des cônes, se servir des verres de vin de la région.
Démesure et interactivité, les deux mamelles de l’art contemporain, surtout en été.