Les jeux de tir misent sur la fiction pour éviter les frictions
JEUX VIDEO•Pour limiter les risques de polémiques, les créateurs de jeux de tirs privilégient les pures fictions, surtout lorsqu’il s’agit de guerre et d’action...Jean-François Morisse
Ne surtout pas être dans le viseur. Appliquée aux jeux de tirs, cette phrase peut paraître étrange et pourtant. Habitués depuis des années à susciter la polémique, les FPS (pour First Person Shooter) lorgnent de plus en plus vers la fiction pure et dure. Ainsi, le tout nouveau Homefront The Revolution tend à modérer son propos anti nord-coréen.
Le premier jeu Homefront (rien à voir avec le film homonyme avec Jason Statham) sort en 2011. Au scénario, un certain John Milius, réalisateur de Conan le Barbare et scénariste de L’Aube Rouge dans lequel les Soviétiques envahissaient un beau matin les Etats-Unis. Le jeu Homefront reprenait une trame quasi identique en remplaçant l’ennemi russe, moins tendance en 2011, par une armée nord-coréenne. L’histoire de Homefront était censée se dérouler en 2027, après l’invasion des Etats-Unis par la Corée du nord.
Avec Homefront The Revolution, les développeurs allemands de Deep Silver reprennent les mêmes et recommencent. Ou presque. Bienvenue en 2029 pour un jeu de tir qui reste néanmoins clairement destiné à un public adulte. Si l’ennemi qui envahit le territoire américain reste nord-coréen, il s’agit désormais avant tout d’une entreprise baptisée Apex. Il n’est plus question de s’opposer à une autre nation, mais à une corporation, ce qui correspond à l’air du temps à une époque où les Google, Facebook et autres Apple rivalisent en termes de puissance avec les états.
« Les jeux sont faits pour s’amuser et si on ancrait le background dans la réalité comme en Syrie par exemple cela deviendrait plus compliqué de s’en amuser, justifie Alex Hood, scénariste chez Deep Silver. Cela serait même vraiment perturbant ». Mais au-delà du souhait de rester dans l’univers du pur divertissement, il y a aussi la volonté pour le studio d’éviter toute forme de polémique.
Des jeux de tir dans le colimateur
Retour en 1992 à la sortie de Wolfenstein 3D. Le joueur, prisonnier d’une forteresse nazie doit tout faire pour s’en échapper. Après avoir traversé de nombreux couloirs décorés de croix gammées il affronte une espèce d’Adolf Hitler grotesque et robotisé. Il n’en faut pas plus pour que l’ancêtre des jeux de tirs soit fustigé et interdit en Allemagne.
En 2006, le jeu Resistance Fall of Man sur PlayStation 3 met en scène un combat au cœur de la cathédrale de Manchester… Furieuse, l’église anglaise demande son interdiction. En vain.
Ventes records malgré les polémiques
Trois ans plus tard, c’est au tour de l’incontournable Call of Duty de susciter une controverse mondiale. Dans Modern Warfare 2, le joueur assiste (et peut participer) aux massacres de civils innocents dans un aéroport ( mission intitulée « No Russian »). Le jeu se retrouve dans l’œil du cyclone mais réalise néanmoins des ventes records. Et l’an dernier, l’éditeur Ubisoft s’interroge au moment de la sortie de son jeu Rainbow Six Siege, quelques semaines après les événements tragiques du 13 novembre. Des troupes d’interventions sont confrontées à des « terroristes »… qui ne seront jamais qualifiés de la sorte en définitive, afin d’éviter toute provocation inutile.
L’imagination comme garde-fou
On comprend mieux pourquoi les créateurs de FPS choisissent désormais d’encadrer d’univers fictifs des jeux toujours plus réalistes. Après les deux derniers épisodes de Call of Duty, Advanced Warfare et Black Ops III qui se déroulent respectivement en 2054 et 2065, le suivant, Infinite Warfare, emmènera le joueur dans l’espace.
Même topo chez Bethesda : l’éditeur de Doom préfère recycler de vieilles licences et envoyer ses joueurs sur la planète Mars. Désormais, on ne tire plus sur des êtres humains mais sur des robots, aliens et autres démons. De quoi éviter autant la polémique qu’une classification PEGI 18 (qui ne reste toutefois qu’une recommandation, pas une interdiction). La mode du politiquement correct appliquée au jeu vidéo ?
La promo par le scandale
Une chose est sûre : les jeux vidéo, FPS en tête, ont aujourd’hui tendance à lisser leurs propos. Pas de provocation inutile à une époque où les réseaux sociaux peuvent transformer la moindre aspérité en un houleux débat mondial. Homefront The Revolution joue donc (avec plus ou moins de réussite si l’on en croit la critique) la carte de la modération, comme la plupart des FPS actuels. « Quand on place l’intrigue dans un univers fictionnel, il n’y a pas vraiment de sujet moral, commente Alex Hood. Ce qu’on voit n’est pas vrai, ce n’est qu’un jeu ».
A contre-courant, les Suédois de Dice (Star Wars Battlefront) dégaineront en fin d’année Battlefield 1. Un jeu de tirs qui propulsera le joueur au cœur de la première guerre mondiale, au risque de prêter le flanc à la critique et de bénéficier par là même d’un joli coup de communication. Peut-être le prix à payer pour se distinguer aujourd'hui.