Comment définir l'âme d'un robot est devenu un métier
HIGH-TECH•Les bots, ou robots conversationnels, s’apprêtent à chambouler notre quotidien. La «plume» française d'une intelligence artificielle explique à «20 Minutes» son métier…Annabelle Laurent
Jam, help
Lancée en France en avril 2015, Jam est un assistant créé spécialement pour les étudiants, qui seraient selon la start-up 50.000 à l’utiliser. Il suffit de lui envoyer un SMS pour recevoir une réponse, gratuitement. Jam, je cherche un stage pour cet été, tu peux m’aider? Jam, je cherche un logement, help. Jam, une idée de bar pour ce soir?
Et la conversation s’enclenche. Avec une intelligence artificielle, supervisée par des humains: c’est bien un robot qui répond, et la start-up ne s’en cache pas, mais il peut y avoir pour certains messages trop déconcertants - que répondre à «Jam, est-ce que tu m’aimes?»- un arbitrage humain, réalisé par une soixantaine de «backers» en rotation (des étudiants, des auto-entrepreneurs…). L'arbitrage devrait se limiter à 20% des cas selon l'objectif que s'est fixé Jam au moment de sa levée de fonds d'un million d'euros en début d'année.
Preuve que si se consumer d’amour pour une assistante virtuelle tel un Joaquin Phoenix dans Her n’est pas pour tout de suite, nouer des liens avec un robot qui la joue ami-ami par SMS, c’est déjà du concret. L’époque où l’on écarquillait les yeux devant la répartie de Siri, l’assistant virtuel d’Apple lancé fin 2011, est révolue. Amazon affine les compétences d’Alexa, Microsoft celles de Cortana.
Bonjour les bots
Tous sont des formes de «bots», des logiciels simulant une conversation humaine. Et de ces « bots », il faut s’attendre à être envahi: emboîtant le pas à Microsoft et le gros raté du lancement du chatbot Tay, devenu un néo-nazi en quelques heures avec l'aide de trolls sur Twitter, Facebook officialisait le mois dernier l’arrivée des chatbots sur Messenger. Ce n’est que le début. Les «interfaces conversationnelles» sont en pleine ascension, avec une conséquence: de nouveaux profils ont fait leur apparition dans la Silicon Valley.
Aux manettes de Cortana, l’assistant virtuel de Microsoft? Des ingénieurs, évidemment, mais aussi une équipe d’auteurs, six personnes même, parmi lesquelles un poète, deux écrivains et un scénariste, expliquait le Washington Post dans un article détaillant l’arrivée en renfort de «plus en plus de profils artistiques» dans le secteur florissant de l’intelligence artificielle.
D'autres recourent à d'autres méthodes, comme Google qui nourrit une intelligence artificielle aux romans à l'eau de rose. Mais l’enjeu est le même: humaniser les robots. Rendre la conversation naturelle. Et lui donner du relief.
Des «guidelines de personnalité»
Soit le boulot de Raphaël Kammoun chez Jam. «Le cœur de notre travail, c’est que Jam soit un ami pour l’utilisateur, explique la co-fondatrice de l’application, Marjolaine Grondin. Qu’il soit pertinent, efficace et rapide ne suffit pas. Ça passe par les mots, ce dont je m’occupais au début. Mais on a recruté une plume pour nous aider à affiner les réponses et réfléchir à des guidelines de personnalité.»
Il s'agit de définir des règles communes pour mettre tout le monde au diapason: aussi bien l’intelligence artificielle, gérée par des outils de génération de langage, le Natural Language Processing (NLP), qu’il faut alimenter d’un champ lexical précis et d’emojis (préférer «Salut» ou «Bonjour»? Envoyer un petit :), ou pas?), que les 60 «backers». Tous doivent tous avoir la même idée de qui est Jam, et de la façon dont il doit interagir.
A Raphaël Kammoun, que Marjolaine Grondin avait comme élève dans un cours d’entreprenariat, de reprendre les ficelles de ce bon pote fictif, censé être «économe mais pas radin, bienveillant mais pas bonne poire, serviable mais pas bosseur…», énumère la co-fondatrice. Tout un programme.
De la douceur dans ce monde de bots
«Le vrai enjeu, c’est d’arriver à construire une personnalité comme pour celle d’un roman ou d’un film, et qui ne dépende pas du contexte mais puisse répondre au cas par cas, explique le nouveau maître d'oeuvre derrière Jam. L’enjeu est de ne pas être trop froid, et si quelqu’un demande une blague, il faut être drôle. Mais si quelqu’un veut des conseils pour un examen et qu’il est stressé, il faut éviter les blagues et rester sobre». Bref, un peu de douceur dans ce monde de bots.
Ce qui n’empêche pas son job d’être encore très isolé. Tous les assistants ne visent pas une interaction amicale comme Jam, certes: les créateurs de Julie Desk, une assistante virtuelle made in France, ont défini quelques règles de base (vouvoiement, mais emploi du prénom) sans recourir pour autant à une plume. Mais la vague de recrutements de créatifs, outre-Atlantique, pourrait annoncer un avenir à ces designers de texte. Chargés de prouver que derrière ces bots, il y a de petits coeurs qui battent.