RETROSPECTIVEQuand la presse s'enflammait (jusqu'au point Godwin) sur «Loft Story»

«Loft Story»: Point Godwin et polémiques... Comment la presse parlait de l'émission il y a quinze ans

RETROSPECTIVEIl y a 15 ans, la presse avait jugé très sévèrement et sérieusement ce nouveau format qui venait tout juste de débarquer en France...
Fabien Randanne

Fabien Randanne

«C’est qui qu’a pété ? » La question lancée à la cantonade, le 26 avril 2001, par Delphine en plein pendant le premier direct de Loft Story est resté désespérément sans réponse. En revanche, on sait que ce soir là, M6 a pété un score d’audience : 5,2 millions de téléspectateurs, à l’époque, c’était un exploit pour la petite chaîne qui montait.

Les médias, eux, ont pété un câble face à cette première émission de télé-réalité dite « d’enfermement » diffusée en France. De la presse people ou télé au Monde, en passant par Le Point ou Marianne… des kilomètres d’articles, d’éditos, de dossiers, de micro-trottoirs, de tribunes et d’interviews ont été écrits pour déplorer ou – bien plus rarement – défendre le programme sulfureux qui alimentaient les discussions des cours de récrés autant que celle des machines à café et des bistrots du commerce.

« La folie ! », s’exclame VSD en Une, quelques semaines avant de titrer « La France s’enflamme », quand d’autres, comme L’Express déplorent « Le triomphe du voyeurisme »…

«Un espace totalitaire »

« Loft Story est une étape supplémentaire dans cette tyrannie de l’insignifiance que les nouvelles élites, celles de la communication, infligent au peuple tout entier », écrit, une semaine après le début de l’émission Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur.

Une gentillesse comparée au point Godwin que d’autres titres n’hésitent pas à atteindre. L’Express compare ainsi le psychiatre Didier Destral – censé suivre tous les candidats du Loft – à Josef Mengele, le docteur tristement célèbre pour avoir mené d’atroces expérimentations médicales sur des détenus du camp d’Auschwitz. De la pointe de son crayon, Plantu esquisse un parallèle entre les participants du jeu de M6 et l’univers concentrationnaire. Dans Le Monde, Jean-Jacques Delfour décrit Loft Story comme « un espace totalitaire », « un champ expérimental d’assujettissement total », « une machine à dénudation psychique ».

Loana et Jean-Edouard, eux, se sont dénudés dans la piscine. Le célèbre épisode aquatique se retrouve en Une du Parisien. « Ça vous choque ? », apostrophe le quotidien francilien qui, tout tourneboulé confond Jean-Edouard avec Aziz au moment de choisir la photo d’illustration.

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Patrick Le Lay, alors président du groupe TF1, lui, est scandalisé et le fait savoir dans une tribune du Monde. « Morale », « éthique », « déontologie »… il déroule un champ lexical de rosière effarouchée pour dénoncer « Loft Story et ses sous-produits pornographiques ». Celui que ne tardera pas à vendre du « temps de cerveau humain disponible » à une marque de soda se fait rapidement tacler par les éditorialistes. « On sait depuis Rabelais que les pécheresses repenties sont les meilleures propagandistes de la vertu. Mais on a appris avec Molière qu’il est suspect d’exiger qu’on cache le sein que le concurrent a montré le premier… », balance Jean-Philippe Mestre, qui connaît ses classiques, dans Le Progrès.

« "Loft Story" n’a fait ni mort, ni blessé par balles »

Autre référence littéraire prisée par les médias : le 1984 de George Orwell. Il faut dire que Big Brother, l’émission qui a inspiré le Loft, est une allusion directe à l’œil omniscient du roman. « Celui qui est observé est déshumanisé, instrumentalisé », avance le psychiatre Serge Hefez au Monde tout en comparant les « Lofteurs » à « des rats en cage ». Danny Cohen, avocat et professeur de droit privé, en rajoute une couche dans Le Monde Télévision en parlant d'« atteinte caractérisée à la dignité humaine » : « En signant ce contrat, les participants (…) ont renoncé à tout libre arbitre, à leur liberté d’aller et venir, à leur liberté d’expression, ainsi qu’à leur droit à l’image et au respect de la vie privée. »

Pour la tempérance, il faut compter sur nos voisins suisses. « Loft Story n’a fait ni mort ni blessé par balle. Les acteurs et les spectateurs sont consentants et ils peuvent arrêter l’expérience quand ils le souhaitent », rappelle Le Temps. « La télévision poubelle, ce serait donc ces jeunes gens jolis et bien portants qui racontent en public des histoires de sexe, qui se lancent dans des flirts de fin d’adolescence, qui tournent autour du pot pendant des heures avant de passer à l’acte et qui s’en tiennent à des plaisanteries grivoises. Le spectacle d’un camp de vacances. Banal, mais irrésistible. (…) Loft Story ne menace personne et ceux que cette émission horrifie n’ont qu’un geste à faire pour y échapper : éteindre leur poste de télévision. »