Pourquoi les Youtubeurs ont attendu si longtemps pour parler de politique?
Débat•Dix ans après la naissance de YouTube, les contenus politiques font leur grande apparition sur la plateforme vidéo...Jeanne Bartoli
Autrefois temple de l’humour, Youtube connait une mutation sans précédent. Les contenus explicatifs, historiques mais aussi politiques font leur entrée avec succès sur la plateforme vidéo. Derrière les succès des chaines Osons causer, Mes Chers Contemporains (de Usul), Bonjour Tristesse ou encore Accropolis, des trentenaires ou quasi trentenaires qui ont décidé de se réapproprier la politique, en commençant par en parler autrement.
Des contenus et des formats plus accessibles
Pour Ludovic Torbey, membre d’Osons Causer, « l’idée c’était de proposer des vidéos plus accessibles que les articles compliqués qu’on peut lire dans la presse ». Avec deux amis, ce diplômé en philosophie a crée en 2015 sa chaine de débats et d’analyses politiques pour « faire passer l’info » et « éveiller les consciences ». Aujourd’hui, Osons Causer est suivie par plus de 42.000 personnes. Les recettes du succès : des vidéos face caméra, une « manière de parler détendue » et des contenus documentés et très engagés…à gauche.
« Rendre la politique compréhensible », c’est aussi l’objectif de Jean Massiet. Collaborateur politique de Colombe Brossel, adjointe à la mairie de Paris et passionné par les jeux vidéos, il commente en live les sessions des questions au gouvernement à la manière des streamers sur Twitch. « Je ne donne pas mon opinion mais des clefs de compréhension au débat. Je donne par exemple des détails sur l’actualité des députés et leurs spécialités », explique-t-il. Selon lui, « Youtube est en train de se crédibiliser et permet de s'exprimer autrement ».
Une génération qui a « envie d’autre chose »
« Les médias généralistes ne suffisent plus à cette génération. Celle qui parle et celle qui écoute. Je pense qu’ils ont envie d’autre chose et ils sont en train de le construire », analyse Virginie Spies, maitre de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université d’Avignon.
« Je dirais qu’on fait du journalisme qui n’existe plus trop dans les rédactions : du journalisme éditorial. Je sais que c’est un gros mot aujourd’hui mais on est un peu dans l’idéologie », confie Ludovic Torbey, actuellement engagé dans le mouvement Nuit Debout. Pour ce touche à tout passionné, il faut lutter contre « la parole sclérosée » et « le vide d’audience ».
Jean Massiet a de son côté eu le déclic lors des attentats de janvier 2015 : « J’ai eu un choc citoyen. Je me suis retrouvé paumé et je me suis demandé comment lutter contre la théorie du complot et faire de la politique autrement. » Il est convaincu que « les gens sont aujourd’hui extrêmement demandeurs d’un ton différent de la télé ».
« Je vous conseille l’excellente chaine de @OsonsCauser ! Ils causent bien, sont sympa et on comprend tout !https://t.co/guxgIZCtL5 — En Dépit Du Bon Sens (@depitdubonsens) April 5, 2016 »
Lutter contre l’extrême droite
« Les politiques commencent à utiliser Youtube mais l’extrême droite y est déjà depuis très longtemps et a fait un travail idéologique impressionnant », remarque Ludovic Torbey qui salue là une certaine « finesse stratégique ». Comme lui, Matthieu Longatte, alias Bonjour Tristesse, ne veut pas laisser l’extrême droite surfer sur l’exaspération des Français. Depuis deux ans, il signe des chroniques vidéos énervées sur tous les sujets d’actualité du moment, avec un succès qui ne se dément pas.
Pour la chercheuse Virginie Spies, on assiste bien à la naissance d’un mouvement. « C’est une génération qui connait les réseaux sociaux et qui a décidé de prendre la parole via d’autre biais que la télévision. La liberté de ton est une valeur essentielle pour eux », souligne-t-elle. « Pour autant il n’y a pas de volonté d’exclure les autres générations », ajoute-t-elle.
Parler à tous, sans distinction, c’est l’ambition d’Osons Causer : « On ne calibre pas notre propos pour les jeunes. On parle à tout le monde », soutient Ludovic Torbey, qui remarque néanmoins que « son public à tendance à se vieillir ». « On a pas peur de se saisir de la politique mais autrement », confie de son côté Jean Massiet.
A un an de la présidentielle, le plus difficile pour ces youtubeurs sera peut-être de résister aux sirènes des partis politiques, qui ne devraient pas résister à l’envie d’adosser leur nom au succès de ces chaînes d'un nouveau genre.