Katsuhiro Otomo: Un dieu vivant du manga est de passage en France
BD•L’auteur japonais passe par Paris puis Angoulême en sa qualité de président du festival international de la bande dessinée...Benjamin Chapon
Quand il est arrivé dans la salle, il y a eu un murmure. Il a fallu bien du courage aux personnes présentes pour respecter la règle : pas de photos, pas de selfies. Chikushō ! Etre en présence d’un dieu vivant du manga et ne pas pouvoir immortaliser l’instant, ni s’en vanter sur Facebook… Puis, la conférence de presse de Katsuhiro Otomo a débuté avec « un sentiment d’irréalité » selon l’expression de Nicolas Finet, animateur de la rencontre.
Très rare dans son propre pays, voire invisible, l’auteur culte du manga Akira est cette semaine en France en tant que président du 43e festival d’Angoulême. Premier auteur japonais a accédé au rang de Grand Prix du festival, Otomo a donné une conférence de presse, au musée du Louvre pour ce qui restera son unique obligation médiatique de la semaine.
Un auteur qui s’affiche peu
Traditionnellement, le festival consacre une grande exposition rétrospective à l’œuvre du président en exercice.
L'affiche du festival d'Angoulême 2016 - K.OTOMO/9E ART+
Mais s’il s’est plié, avec talent, à l’exercice de la production de l’affiche officielle, Otomo a refusé l’expo. A la place, il tiendra une conférence publique samedi après-midi, au théâtre d’Angoulême. C’est aussi lui qui dévoilera le nom de son successeur, ce mercredi soir.
Otomo ne coupera sans doute pas à une visite du musée de la BD, ni à une photo avec la ministre de la culture Fleur Pellerin, qui, comme tous ses prédécesseurs, ne connaît pas grand-chose à la BD. Mais à part ça ? Rien n’est prévu. Un dieu vivant du manga est sur notre sol et c’est tout ?
Les officiels en retrait
Bien qu’élevé au rang d’Officier dans l’ordre des arts et lettres en décembre 2014, Otomo n’a été officiellement reçu par aucun membre du gouvernement, ni à la Bibliothèque nationale de France, ni au Quai d’Orsay, ni à la Maison de la culture du Japon… « En France, on ne sait pas quoi faire des auteurs de mangas, reconnaissait, lundi, un membre de l’équipe de direction du Louvre. On n’a pas de lieu emblématique dédié à la bande dessinée. »
Pourtant, la conférence de presse du maître a démontré qu’il n’était ni un ours asocial ni un créateur mystique. Affable et précis, il a donné des nouvelles de sa saga Akira (il ne participe pas au projet de film en prises de vues réelles et il envisage une adaptation en série télé) et de ses projets, dont un ambitieux manga se déroulant dans le moyen âge japonais. Otomo a également deux films en préparation, et aussi un ensemble de courts-métrages.
Parole rare et profonde
L’auteur a évacué poliment les questions attendues sur son amour de la France (« Ah le vin, le fromage, blablabla »), sur son élection en tant que Grand Prix du festival (« C’est un immense honneur blablabla… ») et sur la question de la représentation des femmes dans le monde de la BD (« Ce qui compte, c’est la création et les lecteurs blablabla… »).
Il est en revanche entré en détail dans la description des affres de la création, évoquant l’impact de ses lectures de jeunesse sur son inspiration après « une lente et mystérieuse maturation ». Il a expliqué en quoi les avancées technologiques, imprévisibles, ne pouvaient être le socle de ses mangas futuristes. Ses récits de science-fiction, dont Akira, bien sûr traitent plutôt de son « angoisse vis-à-vis du monde. Les êtres humains ne sont pas parfaits, et c’est pour ça qu’il arrive des événements étranges et dramatiques. Nous devons faire face à ce monde et cela se reflète dans nos créations. »
La conférence de samedi, même si Otomo lui-même en doute, par modestie, devrait être passionnante. L’occasion d’entendre une légende vivante parler de son art. Quand il repartira dans son pays dimanche, les fans auront l’impression d’avoir vécu un rêve fugace.