«Melvile», ou l'occasion ou jamais de découvrir la BD numérique
IMAGINAIRE•Le tome 2 de cette saga prenant corps dans un ville imaginaire nord-américaine fait la jonction entre papier et écrans….Caroline Delabroy
Après l'histoire de Samuel Beauclair, qui nous a pour la première fois embarqué en 2013 dans cette ville imaginaire pleine de légendes, voici celle de Saul Miler, brillant universitaire à la retraite qui revient sur les terres de son enfance. Avec ce second tome de « Melvile » (Ed. Le Lombard), le dessinateur belge Romain Renard (photo par Béatrice Muhart) éclate la bulle de la BD traditionnelle et va encore plus loin dans son désir de créer un univers multi-dimensionnel. Explications.
Quel est le point de départ de ce second tome de « Melvile » ?
Comme pour le premier, je fais un focus sur un personnage que je creuse tout au long de l'album. La narration est plus proche du roman que de la série classique de BD. Nous sommes partis sur une trilogie, dont chacun des tomes va traiter une histoire parallèle courant sur une même période, avec des résonances de l'une à l'autre. Celui-ci se concentre sur l'histoire de Saul Miler, astrophysicien revenu vivre à Melvile il y a quelques années, et qui de temps à autre aide une gamine d'une dizaine d'années pour ses devoirs de maths. Un jour, débarquent deux chasseurs venus de loin et qui veulent traverser son terrain, ce qui va à l'encontre d'une règle qu'il a toujours édictée et respectée jusqu'alors par les gens du coin. A partir de ce moment, sa vie part en morceaux.
Le 22 janvier, Melvile est sorti en librairie et en « univers augmenté » via une application gratuite compatible Mac, PC, IOS et Android. Cette fois, vous emmenez le lecteur encore plus loin...
L'idée est de faire un grand puzzle qui raconterait l'âme de Melvile, cette ville particulière née de manière un peu légendaire dans le sillage d'un illuminé qui a conduit un peuple à travers la forêt. Il se raconte qu'il y a des choses bizarres, comme si la forêt, la terre étaient vivantes. Certaines personnes réapparaissent après 40 ans, d'autres vivent sans s'apercevoir avec des fantômes. L'application ouvrira sur la carte de la ville, avec un street-view des rues, et l'on pourra cliquer sur chaque maison pour découvrir une capsule vidéo sur les habitants de Melvile. Un peu à la manière de Chris Marker dans « La Jetée », j'ai imaginé un narrateur qui raconte en musique l'histoire dessinée, filmée et montée.
Quel est le rapport entre l'album et l'application ?
Je vois ces « Chroniques de Melvile » sur le long terme. Non pas comme un roman ou une BD qui se lisent presque d'une traite, mais comme quelque chose sur lequel tu reviens de temps en temps, pour te demander : Qu'est-ce-qui se passe dans la ville ? Est-ce qu'il y a un nouvel habitant ?
L'idée est de faire exister un lieu, faire participer les gens et qu'ils deviennent acteur. Il sera ainsi possible d'acheter une maison et devenir résident de Melvile, le prix d'achat étant une bonne histoire ! Je voudrais en raconter une trentaine en 2016 et autant en 2017. Quand le troisième tome sortira, on saura ce que cache le mystère de Melvile.
Comment êtes-vous venu, en précurseur, à la BD numérique ?
Tout est parti de la musique. Je voulais faire la bande-son du premier tome de Melvile. J'ai discuté avec un ami qui s'intéressait au trans-numérique. De mon côté, je faisais déjà de la musique, des vidéos, des photos. Nous avons utilisé la dimension de réalité augmentée pour faire le lien vers des inédits, des pages encrées noir et blanc, etc. J'aime, quand je dessine, avoir un peu ma musique en tête, comme un enfant qui joue dans sa chambre avec ses Lego.
J'avais envie de restituer ça. On ne connaît pas le temps de lecture du lecteur, alors nous sommes partis sur une moyenne par page. A partir de là, les morceaux peuvent s'enchaîner. Il s'agit d'accompagner le lecteur et de créer une bulle, pas de s'écouter jouer et perturber la lecture. Le papier reste au cœur de la démarche. C'est du livre enrichi par le numérique.
Selon vous, est-ce que ce médium a trouvé son public ?
La BD numérique est encore un peu timide. Je ne sais pas si cela vient des auteurs ou des éditeurs, il faut batailler pour qu'il y ait un intérêt. Les lignes commencent cependant à bouger. Pour moi, à l'heure actuelle, on doit passer d'un média à l'autre, casser les cases.
La BD doit devenir poreuse et utiliser la force de chaque média. Je me vis davantage comme un narrateur que comme dessinateur. Reste que ce n'est pas encore une habitude d’utiliser deux sources pour une même histoire. Dans un futur béni, je rêverais de proposer un e-book avec de la musique intégrée. Mais c'est compliqué à mettre en place pour des questions de droits de distribution.
Vous avez emmené sur scène Melvile 1. L'aventure va-t-elle se poursuivre avec ce nouvel épisode ?
J'avais été invité par le Festival d’Angoulême à rejouer la bande-son du livre. On en a fait le principe d'un ciné-concert. Depuis, le spectacle a évolué vers une forme beaucoup plus théâtrale, conjuguant musique, cinéma et bande dessinée, notamment avec l'utilisation du mapping numérique et la projection de dessins sur des formes. Nous avons eu la belle opportunité de présenter cette création à Mons 2015. Pour ce nouvel opus, je tourne un nouveau spectacle qui n'est plus cette fois l'adaptation scénique de la BD, mais celle des contenus de la deuxième application.