Attentats à Paris: «Cent personnes mobilisées pour CNN, ce n'est pas de trop»
REPORTAGE•CNN a mobilisé près de 100 personnes pour couvrir les attaques à Paris, du jamais vu. «20 Minutes» s’est rendu dans leurs bureaux parisiens…Annabelle Laurent
Jim Bittermann n’a jamais été aussi entouré. Correspondant de CNN basé à Paris depuis 20 ans, le journaliste américain se contente en temps normal de quatre collègues, installés dans quelques pièces en enfilade au 6e étage d’un immeuble de l’avenue des Champs Elysées. Depuis les attaques terroristes survenues vendredi à Paris, pas moins de cent personnes y gravitent à tour de rôle. Des producteurs, rédacteurs en chefs, cadreurs, ingénieurs du son, et plus d’une douzaine de présentateurs et journalistes, dont les « stars », à l’instar d’Anderson Cooper.
Une équipe agrandie depuis « Charlie Hebdo »
Près de cent personnes : la mobilisation voulue par la pionnière des chaînes d’info en continu paraît démesurée. « Ce n’est pas de trop ! C’est notre boulot, répond simplement Jim Bitterman, qui assurait le direct depuis le Bataclan vendredi soir pendant l’assaut. L’événement est énorme et affecte le monde entier. Le G20 a modifié son ordre du jour, l’impact est immense à travers l’Europe et le monde ».
La tuerie de Charlie Hebdo le 7 janvier avait donné « un avant-goût ». « La plupart des personnes présentes aujourd’hui l’avaient couvert ». S’y est ajoutée une soixantaine de nouvelles personnes, arrivées par les premiers Eurostar samedi matin depuis le bureau de Londres ou par avion depuis New York, Los Angeles, et même Hong Kong.
Si « CNN International » et « CNN Domestic » sont d’habitude deux chaînes distinctes, « les deux canaux sont liés depuis vendredi, explique Bitterman. Tout ce que l'on produit est donc vu par le public américain ». Sur l’écran qui diffuse CNN derrière lui, deux journalistes stars (mais inconnus du public français) tiennent un direct place de la République. Une autre équipe est à Montreuil où a été retrouvée la voiture des terroristes. Un duplex se prépare ici, sur le grand balcon qui donne sur l’Arc de Triomphe.
« Le challenge, c’est l’échelle de l’opération »
On y croise Tim Lister, le producteur chargé de la coordination globale. Ses cernes le trahissent : la veille, il est resté éveillé « 42 heures d’affilée ». Il lance, moqueur: « J’aurais bien besoin de vos semaines de 35 heures ! ». De retour d’un reportage en Irak et en Syrie trois jours plus tôt, il explique: « ici, le challenge, c’est l’échelle de l’opération. Et toutes ces fausses alertes, comme au Pullman hier ». Il discute avec Jim Bittermann des sujets traités jusqu’ici. Ils ont « raté » l’histoire des longues files pour le don du sang. Ce qui s’annonce pour les prochaines 24 heures ? « On va raconter l’histoire de ces anonymes qui ont sauvé des vies ».
Jim Bittermann, correspondant de CNN à Paris depuis 20 ans.
Les no-go zones de la Fox
« Tant d’Américains connaissent Paris pour y être venus en tant que touristes, poursuit Jim Bitterman. Ils se sentent heureux ici. Voir que de telles attaques peuvent arriver dans une ville qu’ils aiment autant, c’est rude. Avec pour cible des jeunes qui ne faisaient que s’amuser un vendredi soir. » Dans le 11e arrondissement, un quartier que le correspondant connaît mal, mais suffisamment pour avoir une idée de la quantité de cafés et bars qui s’y concentrent. Et pour ne pas le qualifier de No-Go Zone comme son confrère de Fox News, se permet-on d’ajouter…. Il souffle : « Le problème de Fox, c’est qu’ils n’ont plus personne en Europe. Seulement un mec à Londres. Comment voulez-vous faire les choses correctement dans ces conditions ? »
Une radio l’appelle depuis New York. En une minute chrono, il évoque les nouvelles avancées de l’enquête, le passeport syrien, la paralysie de la journée de samedi. Interrogé sur l’atmosphère qu’il a pu ressentir dans les rues, il rappelle : « Vous savez, pour les Français, c’est la 3e attaque en 11 mois. Evidemment, la peur est là »
Le sentiment soudain de vulnérabilité
Fait-il le parallèle avec le 11 septembre vécu quatorze ans par ses compatriotes outre-Atlantique? «L'ampleur est très différente, puisqu’il y avait eu 3.000 morts. Mais les similarités sont fortes: le sentiment soudain de vulnérabilité. La communion autour de la perte massive. Et dans les attitudes, le sentiment qu'un peu de joie de vivre est partie».
Le silence pesant, samedi, a frappé les trois journalistes de la BBC que nous retrouvons attablés en terrasse près du Carreau du Temple. Leur émission The World This Week-End, rallongée de 30 minutes à une heure, vient d'être diffusée outre-Manche. « Ce calme, dans les rues samedi, ça n’avait rien à voir avec ce qu’on avait observé pendant Charlie Hebdo, quand les gens étaient si combatifs deux jours seulement après l’attaque. Mais parce qu’ici, l’attaque a porté sur les petits plaisirs de la vie. »
Couvrent-ils l’événement avec le sentiment que cela pourrait arriver chez eux, ou partout en Europe ? « Oui et non, répond le présentateur Mark Mardell. Parce que la France est allée en Syrie, au Mali… Il y a aussi la question de l’intégration difficile des Maghrébins en France ». Il cite les origines algériennes d’Ismaël Omar Mostefaï, le terroriste du Bataclan. La discussion prend un tour plus politique. Parce que leurs confrères ont suivi l’événement en live et « le côté émotionnel », eux se sont davantage tournés vers les politiciens et analystes : le député du parti les Républicains Jacques Myard, la socialiste Corrine Narassiguin, le professeur d’Histoire du Moyen-Orient à Science-Po Jean-Pierre Filiu, l'auteur de The French Intifada.
Autour de nous, les terrasses sont pleines. Encore ensoleillée, la ville est sortie de son coma. « Tout a l’air normal aujourd’hui, commente Charlie Bell. Et comme ici les appartements sont trop petits, vous êtes tous dans la rue, dans les parcs, c’est fou. On comprend pourquoi vous enlever la liberté d’être en terrasse, c’est tout vous enlever. »