Abd Al Malik: «Une scarification n'a rien de morbide»
MUSIQUE•Rencontre avec le rappeur qui signe « Scarifications », son cinquième album et sans doute le plus intime, composé avec Laurent Garnier…Benjamin Chapon
Laurent Garnier et Abd Al Malik. L’attelage avait de quoi surprendre. Le pape de l’électro et le rappeur surdoué se suivent pourtant depuis de nombreuses années et s’étaient promis de travailler un jour ensemble. Après avoir écrit quelques musiques pour le film d’Abd Al Malik, Qu’Allah bénisse la France, Laurent Garnier a cette fois composé les musiques d’un album entier. Sur ces nappes sonores angoissantes, Abd Al Malik a composé ses meilleurs textes depuis ses débuts. Débités dans un flow brutal, saccadé, sans temps mort ni variation, ces paroles ouvrent le cœur d’un artiste complexe, parfois perdu dans ses contradictions mais qui hurle sa sincérité.
« Nous autres artistes, nous sommes absolument humains, humains jusqu’au bout. Un artiste ne peut pas mentir, selon moi. Ma seule prétention, c’est d’être un artiste. Mais c’est une démarche humble. » En revanche, Abd Al Malik est ambitieux pour ses auditeurs qui devront s’accrocher pour avaler d’une traite cet album où le rappeur dévoile tout de ses cicatrices intimes.
Retour d’un artiste « tout court »
« Je ne me pose pas la question de la réception de ma musique, jamais, sinon je risque de tomber dans la posture et la caricature. Aucun artiste ne peut faire ça, sinon il est malhonnête. Et un artiste qui ment avec sa création, ça n’existe pas. » Il faudra donc aux auditeurs plonger dans le bloc de parole introspective et souvent sombre qui constitue ce cinquième album. Les thèmes débordent d’un titre sur l’autre. Le flow est continu, les musiques très semblables. « Je n’ai pas fait exprès de faire un album comme ça. J’ai travaillé sans a priori. Si vous me dites qu’il est difficile d’accès, je l’entends. Moi, je n’ai eu aucune difficulté particulière à le faire. »
Bien sûr, Abd Al Malik espère réunir la plus large audience possible mais ne fait de concession artistique pour autant. Il en va de même avec ses prises de paroles sur la politique ou l’Islam, comme lors des attentats contre Charlie Hebdo. « En tant que personnalité publique, j’ai assumé une responsabilité d’artiste citoyen, que je ne cherche pas. Mais maintenant, je veux revenir à mon rôle d’artiste tout court. Parce que si l’indignation devient un métier, c’est ridicule. Je ne suis pas le Schtroumpf grognon. »
Une scarification de lumière dans un monde sombre
Touché, plus que jamais, par la marche du monde, Abd Al Malik a pourtant fait son album le plus intime. « On n’est pas en dehors du monde. On vit une période sombre et compliquée mais je suis de ceux qui croient que la lumière est au bout du chemin. Depuis mes 13 ans, le monde autour de moi s’est obscurci. Mais mon énergie, mon envie d’être positif va crescendo. » Il explicite ainsi le titre de son album : « Une scarification n’a rien de morbide. Tout dépend de ce que l’on fait du contexte, si on a une démarche de mort ou pas. »
Abd Al Malik espère que malgré « la violence esthétique et formelle » de son album qui explore sa « nuit intérieure », les auditeurs y entendront aussi l’espoir.