Rencontre avec Robert Redford: «L'indépendance a toujours fait partie de ma vie»
INTERVIEW•La légende hollywoodienne était de passage à Paris dans le cadre des 20 ans de la chaîne Sundance, qu’il a créée. «20 Minutes» l’a rencontré…Annabelle Laurent
Il n’est plus tout jeune: 79 ans. Mais le charisme est intact. Volubile, souriant, le légendaire Robert Redford est à Paris pour promouvoir Sundance: le festival, qu’il a créé en 1985, devenu l’épicentre du cinéma indépendant. Mais aussi la chaîne Sundance Channel*, accessible en France depuis 2009, qui s’est positionnée ces dernières années sur le terrain des séries avec les excellentes Top of the Lake et Rectify. 20 Minutes a rencontré le monstre sacré d'Hollywood lors d’une table ronde.
Les temps peuvent sembler difficiles pour le cinéma indépendant, avec le succès écrasant des franchises, des blockbusters, des films de superhéros. Comment envisagez-vous les prochaines années?
Les films indépendants seront toujours là et les films mainstream, qui ont l’argent que les premiers n’ont pas, aussi. Il y aura toujours cette séparation, et ni l’un ni l’autre ne disparaîtront. L’idée de Sundance n’a jamais été d’opposer les films indépendants et Hollywood. Simplement de donner au public l’accès à une plus grande diversité de films. Et ce qui m’intéressait, c’était la part humaniste du cinéma.
Vous défendez le cinéma indépendant depuis plus de trente ans. D’où vous vient l’envie?
De ma vie! Il y a d’abord le mot, indépendance. Mon pays a été fondé sur ce mot. Cela lui donnait d’emblée un poids particulier. Pour moi, c’est une expression de liberté, la liberté de choix. Quand j’ai créé Sundance, c’était pour créer un mécanisme afin que les films indépendants se développent. Mais cela remonte à mon enfance, aussi. J’ai grandi avec une envie forte d’indépendance, je ne voulais appartenir à aucune organisation, aucun parti, aucun courant de pensée. Ça a toujours fait partie de ma vie.
On reproche parfois aux films de Sundance d’être sombres, déprimants. Et d’accumuler un certain nombre de clichés. Il y a même une parodie sur YouTube, «Not another Sundance movie»…
S’il y a une parodie, c’est probablement qu’on a du succès! Mais non, je ne crois pas que les films de Sundance soient tous déprimants. Il y a beaucoup noirceur dans notre monde et le cinéma en sera toujours le reflet. Notre époque n’est pas non plus la plus radieuse qui soit… Ceci dit, la vie est pleine de moments plus légers et heureux, et on essaie toujours de veiller à préserver un équilibre. Le festival présente toujours des comédies. Et les films les plus sombres focalisent toute l’attention!
Nous vivons une période de créativité exceptionnelle en télévision. Avez-vous l’intention de développer davantage de séries sur Sundance Channel, après «Top of the Lake», «Rectify» et «The Red Road», pour faire face à des plateformes comme Netflix?
Oui! Top of the lake et Rectify ont été des prises de risques très excitantes. A l’époque, on n’était pas du tout sûr de nous. J’en suis très fier aujourd’hui.
Vous verriez-vous produire ou jouer dans une série?
Tout dépend de ce que l'on m’offrira. Mais la hausse de la qualité est indéniable.
En 1956, vous avez vécu plusieurs mois à Paris, où vous avez étudié aux Beaux-Arts. Imaginez-vous parfois la vie que vous auriez eue si vous aviez poursuivi dans cette voie?
Si j’étais resté à Paris, je serais ruiné aujourd’hui! (Rires)
Quel artiste auriez-vous pu être?
L’artiste qui a eu la plus grande influence sur moi, c’est Modigliani. J’aime Utrillo, Picasso, et tant d’autres. Mais la façon dont Modigliani voyait la figure humaine, et le pathos de ses dessins, leur simplicité, avaient un impact considérable sur moi.
Vous imaginer artiste-peintre est un peu difficile quand on voit à quel point votre carrière est liée à votre engagement politique…
La politique est venue ensuite. Enfant, j’avais un sens critique très développé, et j’ai grandi en étant très critique de mon pays -que j’adore par ailleurs- mais sans rien faire de concret pour autant… jusqu’à ce que j’arrive dans le cinéma. J’ai alors décidé que je voulais raconter la façon dont je voyais mon pays. Et je vois une zone grise. Où les choses ne sont pas que rouge, blanches et bleues [le drapeau]. J’ai décidé de consacré ma vie au gris, au compliqué. Mes films politiques, Les hommes du président, Votez McKay, Quiz Show traitent tous de ce qui se trouve sous ce que vous croyez voir. Quel est le pouvoir des corporations pour contrôler l’individu.
Vous êtes acteur, réalisateur, producteur, militant. Avec tant de casquettes, comment vous définissez-vous?
Cela devient parfois compliqué. C’est parfois trop. Mais chacun doit faire ce qu’il peut avec ce qu’il lui a été donné et moi, cela m’a toujours ramené à deux choses: l’art et la nature. Mon travail artistique et mon amour de la nature, mon désir de la protéger autant que possible. Me concentrer sur ces deux domaines est devenu mon modus operandi.
Vous défendez la cause environnementale depuis plus de vingt ans. Vous avez fait un discours en juin dernier à l’ONU. Qu’attendez-vous de la COP21?
Dans le cadre d’un film que je prépare sur le changement climatique, je reviendrai à Paris en décembre pour la Cop21. A l’ONU, l’essentiel de mon message était de dire: le changement climatique est là. On ne peut plus le nier, plus l’éviter. On n’a plus beaucoup de temps. Si on ne commence pas à penser différemment, il n’y aura plus de planète. Cela me fait peur de penser à ça. Alors, pour moi ce qui est important, c’est l’urgence. Il est d’urgent d’agir maintenant. Que peut-on faire? Pas grand-chose à part essayer de préserver ce qu’il nous reste. En allant contre le pouvoir de l’argent, de ces corporations -dans le Golfe du Mexique, dans l’Arctique- qui sont destructrices. Les populations doivent s’unir, mais après il faut un leadership. Et moi, la seule chose que je puisse faire, c’est élever ma voix pour le dire.
*Deux films distingués lors de l’édition 2015 du Sundance Film Festival, The Strongest Man et Christmas Again, seront diffusés le 26 septembre prochain sur Sundance Channel.