Preview BD: Boucq croque DSK et Dodo la Saumure
BD•Les éditions Le Lombard et « 20 Minutes » ont le plaisir de vous présenter un album qui relate le désormais célèbre « procès Carlton »…Olivier Mimran
Suivre un procès au jour le jour est déjà passionnant. Alors suivre LE procès de l’année, celui dont tout le monde a entendu parler, qui convoque à la barre quatorze prévenus parmi lesquels un ancien directeur du Fonds Monétaire International, ça devient carrément une aventure ! Et c’est celle qu’a vécue François Boucq, auteur de BD émérite, Grand Prix d’Angoulême 1998, qui a illustré le « compte rendu » de l’événement écrit par notre consœur du Monde, Pascale Robert-Diard. Boucq s’exprime sur cette expérience inédite (pour lui) à la suite de la preview ci-dessous. Bonne lecture !
Résumé : Pendant trois semaines, devant le tribunal correctionnel de Lille, assis côte à côte sur le banc des prévenus, ils ont été accusés, confrontés et se sont défendus : Dominique Strauss- Kahn, l’homme qui fut « le plus puissant du monde », Dodo la Saumure et sa gouaille, et une dizaine d’autres — chefs d’entreprise, avocat, directeur d’hôtel — que l’affaire du Carlton a brutalement exposés au regard public. Les débats furent âpres, tendus, parfois obscènes, drôles aussi. Ils revivent sous la plume de la chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard et le trait percutant des croquis de François Boucq.
Le dessin d’audience, ou dessin de presse judiciaire, existe depuis le XVIe siècle. Autrefois seul moyen de reproduire ce qui se passait dans un tribunal, c’est désormais celui de respecter la loi (qui interdit toute prise photographique ou vidéo lors d’une audience). Pour François Boucq, qui a passé sa vie à dessiner des « petits Mickeys », le défi était sérieux - même si d’autres auteurs de BD s’y sont essayés avant lui (voir encadré).
Vous avez tout de suite accepté ce projet ?
Oui, même si je n’étais pas très confiant au départ étant donné que je ne m’étais jamais essayé à cet exercice. Et puis je me suis très vite aperçu qu’il se passait tellement de choses “subtiles” - dans les expressions, ce qui se dit – qu’il y aurait forcément de la matière sur laquelle travailler. Parce qu’il existe une sorte de chorégraphie des protagonistes, une théâtralité de l’endroit qui font d’un procès un vrai spectacle.
Comment vous êtes-vous adapté à ce travail inédit ?
Il faut de suite adopter une sorte d’esprit de synthèse, car les moments qu’on décide de saisir sont très fugaces : on remarque une expression, une attitude qu’on décide de figer, et d’autres expressions ou attitudes suivent immédiatement. On doit donc faire abstraction de ce qui suit tant qu’on est en train de dessiner, maintenir sa concentration sur le choix qu’on a fait et c’est très difficile. On fait donc sans arrêts de gros efforts d’observation, d’anticipation parfois, puis de concentration.
Que pensaient les protagonistes de votre présence ?
Le dessinateur ne génère pas les mêmes rapports avec ses modèles que le photographe et le vidéaste, qui mettent tous deux un appareil entre eux et leurs sujets. Ça crée d’emblée une distance, une défiance dont ne souffre pas l’illustrateur. Le crayon ne brise pas le contact direct avec le sujet, qui ne se sent pas agressé ; au contraire, même, il s’installe très vite une forme d’empathie.
Une empathie ? Vraiment ?
Oui ! Des intervenants, avocats, procureur, juges, prévenus ou autres, venaient d’ailleurs voir mes dessins. Certains me demandaient même, à la fin d’une séance, si je ne pouvais pas les dessiner. Et à la reprise, ils prenaient naturellement la pause (rires) !
Quelles sont les limites de ce genre d’exercice ?
On est contraints par l’espace, bien que j’avais l’autorisation de me déplacer discrètement. Il suffit de ne jamais se placer entre le juge et les prévenus – même si c’était ma position géographique, mais désaxée. C’était un sacré privilège puisque j’étais seul – excepté les greffiers etc – à bénéficier d’une vue panoramique à la fois sur le banc des prévenus (et celui de leurs avocats, devant) et sur les juges.
C’est très différent de ce que vous faites en bande dessinée ?
C’est un travail à l’exact inverse : d’habitude, on nous soumet un scénario et on essaye de lui faire coïncider les personnages qu’on a imaginés. Là, on dessine des personnages dont on découvre l’histoire au fur et à mesure. Le scénario se confectionne donc directement sous nos yeux !
Avez-vous pris du plaisir à dessiner certains protagonistes ?
Bien sûr ! Et heureusement, on avait une belle brochette de “gueules”, comme Dodo la Saumure avec sa tête de bouledogue, DSK, fortement charpenté… Dessiner ceux-là était évidemment plus facile. C’est drôle, d’ailleurs, parce que je me souviens avoir pensé que le physique des gens reflétait souvent leur intériorité. Par exemple, des gens au physique quelconque étaient souvent, dans l’affaire jugée, des personnages suiveurs, voire serviles. Alors que les “gueules” étaient les puissants ou les donneurs d’ordres.
Avez-vous réussi à garder une certaine distance face à un procès aussi médiatisé ?
Je crois, grâce à ma position de relateur : comme les journalistes, on est obligé de rester au maximum objectif pour rendre compte sans déformer. J’ai tâché de laisser mes a priori à la maison, et de me rendre au tribunal plein de curiosité.
Et si l’expérience vous était de nouveau proposée ?
Je ne le referais pas à temps plein, parce que la bande dessinée reste mon activité préférée, mais… ponctuellement, avec plaisir ! Ça a été très enrichissant, tant artistiquement qu’humainement.
« Le procès Carlton », de Pascale Robert-Diard & François Boucq - éd. Le Lombard, 15 euros