CULTURE«Fais-moi mal Johnny»: Le premier titre sado-maso du rock français

«Fais-moi mal Johnny»: Le premier titre sado-maso du rock français

CULTURELa comédienne Magali Noël est décédée ce mardi matin. Retour sur la chanson qui l’a rendue célèbre, «Fais-moi mal Johnny»…
Annabelle Laurent

A.L.

Magali Noël est décédée ce mardi à l’âge de 83 ans. On l’a vue dans La Dolce Vita (1960), Satyricon (1969) et Amarcord (1973), trois grands films de Fellini. Mais la muse du réalisateur italien est surtout célèbre pour son interprétation inégalée de Fais-moi mal Johnny, écrite par Boris Vian en 1956.

Soixante ans plus tard, ses espiègles «Johnny-Johnny-Johnny» résonnent encore, quand ils ne sont pas ceux des nombreux artistes ayant repris la chanson. A l’heure du sado-maso mièvre de Cinquante nuances de grey, retour sur un titre qui a choqué au point d’être interdit d’antenne.

Ci-dessous, son interprétation en live, à partir de 00'08:



L’accueil qui fait mal

Aujourd’hui, on ne voit pas le mal. Mais à l’époque, le titre est dénoncé par le Vatican, et surtout interdit à la radio. Trop osé. Mais que chante-t-elle exactement? L’histoire d’une femme qui «aime l’amour qui fait boum», mais «pas l’amour qui fait bing», pour le dire en deux mots. Une femme qui réclame la fougue d’un Christian Grey, et a beau frapper, insulter son amant, se moquer de lui - «debout, il était bien plus p’tit», il a d’ailleurs tout de «p’tit»: chemise, complet, souliers, sans compter son «œil bête» - elle n’obtient rien. Jusqu’à ce que son envie de «boum» lui vaille un «bing», la violence de l’amant poussé à bout se réveillant d’un coup. De quoi la laisser K-O, expirant d’un «Oh! Johnny», «Oh! La vache… ». Expression spontanée, par une femme, d'une envie de sexualité plus... énergique, et évocation de la violence conjuguale: Boris Vian et Magali Noël défiaient la morale de l'époque.

L’homme qui chante, c’est Boris Vian

«Il va lui faire mal, il va lui faire mal!», puis plus tard, «Il lui a fait mal, il lui a fait mal». L’homme qui chante, observateur amusé, c’est Boris Vian lui-même. L’écrivain s’était invité en studio au moment où Magali Noël commençait la chanson, comme le racontait en 2009 la comédienne au journaliste de Libération Bruno Pfeiffer: «De ma voix haute, un peu pointue, j’ai mis la gomme. Boris supervisait dans la cabine. Il rigolait comme un fou. D’un coup, il s’est rué dehors, et m’a rejoint sous le micro pour répéter le légendaire: "Vas-y fais-lui mal"! La partie n’était pas prévue». Et Magali Noël d’ajouter: «Quel type merveilleux, si sensible au malheur des autres, et bourré de fantaisie!»

Rock sado-maso ou pré-féministe?

Pour Georges Unglik, spécialiste de Boris Vian de longue date, Boris Vian signe avec Fais-moi mal, Johnny le «premier rock sado-maso», tandis que pour Philippe Boggio, biographe de Vian, la chanson va même un peu plus loin: «Magali Noël et Boris Vian se sont entendus pour produire une sorte de contre-pied féminin au machisme du rock américain, estime-t-il, comme le raconte le journaliste Raoul Bellaïche. En un sens, Fais-moi mal, Johnny ! est même un rock pré-féministe. Une femme crie son appétit. Cela change.»

«C’est censuré, zoum!»

Conscient de l’audace des paroles, le producteur avait d’abord sorti le 45 tours en Suisse, raconte Raoul Bellaïche, «par prudence». La France sera ensuite plus prude, avec l'interdiction de la chanson à la radio. Magali Noël avait même dû improviser une autocensure en direct le soir d’un Musicorama, spectacle musical qu’organisait Europe 1 dans les années 1960-1970. Avant sa montée sur scène à l’Olympia, on lui signifie qu’elle devra «remplacer les passages osés par "C’est censuré", ou alors ne rien dire… ». Elle s’exécute, et chante «Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny! C’est censuré, zoum!" Et toute la chanson comme ça!». Une prestation gratifiée de sifflements, mais aussi des encouragements de Gilbert Bécaud et Eddie Constantine.

L’un des tout premiers rocks en français

Pour les spécialistes de Boris Vian, Fais moi mal appartient à un ensemble celui des rocks pionniers, parmi les tout premiers chantés en français, signés du duo Boris Vian/Alain Goraguer (pour la musique). Magali Noël enregistrera également Strip-Rock, Alhambra-Rock, Rock des petits cailloux. Inspiré par le producteur Jacques Canetti, qui lui fait découvrir le rock à son retour des Etats-Unis, Vian en retient l’aspect comique. Jugeant, comme le raconte Noël Arnaud dans Les Vies parallèles de Boris Vian, que «le côté exutoire du rock’n’roll n’a pas de raison d’être en France, où le public n’est pas paralysé par le puritanisme au même degré qu’aux Etats-Unis».