Mathieu Sapin: «L'Elysée ressemble à un musée»
BD•Alors que sort «Le Château», un album qui relate son année passée dans les coulisses du palais présidentiel, Mathieu Sapin revient, pour «20 Minutes», sur cette expérience inédite...Propos recueillis par Olivier Mimran
Après le quotiden au journal Libération (Journal d’un journal, Delcourt 2011) puis la présidentielle de François Hollande (Campagne présidentielle, Dargaud 2012), Mathieu Sapin s’est incrusté, un an durant, au palais de l’Élysée. 20 Minutes l'a interrogé sur l'expérience qu'il raconte dans Le château (Dargaud).
L'Elysée ressemble à l'idée que vous vous en faisiez?
Pas exactement. Ce qui m'a surtout surpris, c'est de constater à quel point cet endroit très fastueux, qui évoque littéralement un palais, «fige» un peu les choses. Le décorum, le côté protocolaire sont évidemment conditionnés par la solennité du lieu, mais c'est assez contradictoire avec la modernité dont se réclament les gouvernements successifs.
C'est le poids des traditions, non?
C'est quand même là où se prennent les grandes décisions pour la France! Si le pouvoir était exercé dans un bâtiment plus moderne, conçu pour une efficacité optimale des services comme à Bercy, je suis sûr que les politiques intérieure et étrangère françaises seraient différentes. Tenez, il n'y a pas d'ordinateur dans le bureau de François Hollande! Qui peut raisonnablement se passer d'ordinateur de nos jours? Finalement, le bureau de l'actuel président est quasiment identique (si ce n'est qu'il dispose d'un grand écran télé) à celui du Général de Gaulle!
Découvrez la chronique de l'album et ses 10 premières planches
Etiez-vous très «encadré»?
Pas du tout! J’avais une liberté totale, on ne m’a jamais rien imposé, ni même soufflé ! C'était même un peu déroutant, car je ne savais pas ce que j'allais faire d'une semaine sur l'autre. Je recevais le programme hebdomadaire de l'Elysée et j'y choisissais ce qui me semblait intéressant. Mais j'y ai parfois passé beaucoup de temps juste pour m'y promener, m'en imprégner, sans forcément en ramener de séquence «exploitable».
Avez-vous découvert des secrets d'alcôve?
Non,je n'ai finalement pas recueilli tant de confidences que cela. Ce n'était pas mon propos, qui tournait plutôt autour du fonctionnement de la «maison»: qui fait quoi, comment, dans quelles circonstances. Ce lieu un peu mystérieux est occupé par de «vrais» gens, manifestement sûrs d'eux en public mais aussi fragiles que vous et moi en privé. Au cours de cette période, j'ai vu petit à petit se transformer l'équipe présidentielle: des gens sont partis, de manière plus ou moins volontaire et brutale, et il y a eu des changements de cap, de ligne de communication, etc. Le temps passe et les hommes aussi, finalement. Le lieu, lui, reste comme figé hors du temps.
Le locataire en chef vous a-t-il paru transformé?
François Hollande a changé, oui. Il a désormais une attitude plus grave, plus solennelle, à l’image du décor dans lequel il évolue… Ça se voit même physiquement, il est plus marqué, plus tendu. Mais ça reste quelqu'un de très accessible, très affable, d'un abord et aux manières très sympathiques. Il a surtout changé en termes d'énergie: je l'ai vu électrisé durant la campagne présidentielle, et c'est normal car c'est un exercice «dopant». Tout le monde est porté par ce truc qui monte, qui monte, et puis quand c'est fini, le soufflé retombe forcément. C'est un peu à l'image de la courbe de popularité du Président. J'aurais presque dû sous-titrer mon bouquin sur la campagne «L'ascension» et celui-ci «Le déclin» (rires). Désormais, il encaisse. Une journaliste me disait que ce n'était pas l'élection qui faisait le président, mais sa capacité à encaisser et à gérer les actualités, parfois dramatiques, qui lui arrivent en pleine figure. Les attentats du 7 janvier, par exemple, que j'évoque en fin d'album et suite auxquels j'ai pu constater le sang-froid avec lequel Hollande a géré la chose.
Vous étiez à l'Élysée le jour de l'attentat contre Charlie Hebdo?
Oui. L'atmosphère y était terrible. François Hollande a fait un direct à 20h et je peux vous affirmer que l'homme qu'on voit est le même une fois les caméras éteintes. Il n'est pas dans la représentation, comme certains le lui reprochent parfois.
Comment ont réagi les personnels qui apparaissent dans votre album?
Pour l'instant, j'ai peu de retour et les premières réactions sont évidemment diverses: certains ne sont pas ravis de l'image que je donne d'eux alors que d'autres, comme le chef cuisinier, en sont super-contents. François Hollande lira-t-il l'album ou pas? Je n'en sais rien, mais je lui en dédicacerai un exemplaire, comme à tous les intervenants.