Preview BD: Découvrez dix planches de «Ligne B», récit de la violence urbaine
BD•Les éditions Casterman et «20 Minutes» ont le plaisir de vous présenter une fiction sur le «pétage de plombs» d’un banlieusard…Olivier Mimran
«La promiscuité, ça sent le fromage», chantait Oui Oui (le groupe de Michel Gondry) dans «Ma maison» en 1989. Dans les agglomérations urbaines, la promiscuité sentirait plutôt le soufre. Les émeutes de 2005 en furent la malheureuse mais inévitable illustration. Et ces évènements sont précisément le point de départ de la première BD d’un jeune auteur qui s’interroge sur la violence sous-jacente dans les grandes villes. Interrogé par 20 Minutes, Julien Revenu raconte la genèse de cet album en partie autobiographique. Retrouvez son témoignage à la suite de la preview ci-dessous. Bonne lecture!
Résumé: Automne 2005. Emeutes dans les banlieues françaises. L’état d’urgence est déclaré. Au bout de la ligne B du RER, Laurent vend des téléphones portables dans un centre commercial. Il a une petite fille qu’il adore. En dehors d’elle, sa vie n’est qu’une longue suite d’humiliations: son patron l’exploite et le méprise, sa femme le couvre de reproches et voilà qu’il se fait racketter dans les transports en commun. Sauf que cette fois, c’est l’agression de trop! Laurent ne veut plus se laisser faire, il décide de prendre sa vie en main: désormais, le prédateur, ce sera lui! Du moins, c’est ce qu’il croit…
Criant de vérité
«Pour mon premier album, j'ai eu envie d'écrire une histoire qui s'inscrive dans le réel», révèle Julien Revenu. Pari réussi, car quiconque vivant ou ayant vécu en banlieue parisienne (ou dans celle de n’importe quelle grande ville française) sera confondu par la justesse des us et coutumes reproduits dans Ligne B: toutes les «populations» y sont représentées avec crudité, des bobos aux loubards, des flamboyants aux anonymes… On a l’impression de croiser son voisin à chaque coin de page! Ça témoigne d’un grand sens de l’observation chez un auteur «ayant grandi en banlieue parisienne dans les années 2000». Et même s’il affirme que son album est une fiction, «il contient des événements dont j'ai été témoin, ou que moi-même et mes proches avons vécu.»
Le climax du récit, à savoir le «pétage de plombs» de son personnage principal, est heureusement moins commun. Pour autant, cette violence sourde qui habiterait de nombreux individus dans des zones de sur-concentration populationnelle est crédible: «A ce niveau de densité humaine, les inévitables frictions entre les individus peuvent créer des étincelles», dénonce Julien Revenu. «Et je pense que nous avons tous une bonne charge de poudre à canon au fond de nous, car l'être humain est capable du meilleur comme du pire».
Des camouflets au camouflage
Et le pire, chez le héros de Ligne B, se traduit par une métamorphose totale. D’abord physique, puisque comme le Travis du film Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), il se rase la tête et troque son costard-cravate contre un blouson ample façon Bomber. Puis morale, lorsqu’il décide de désormais répondre à la violence par la violence… un vœu pieux, toutefois, car on ne va pas (sans peine) contre sa nature.
Ligne B fait d’ailleurs aussi penser à un autre film: Chute libre, de Joël Schumacher (1993), dans lequel Michael Douglas interprète un cadre qui, suite à une série de mauvaises rencontres, se laisse aller à un déchaînement de sauvagerie. «Le point de départ et les personnages peuvent effectivement se ressembler», concède Julien Revenu, «mais dans Ligne B se rajoute le thème du travestissement. Mon personnage se grime en lascar pour échapper à ses agresseurs. C'est alors qu'il se rend compte du poids des regards dans notre société et se retrouve pris à son propre piège. Comme dans une pièce de Marivaux, il se retrouve prisonnier de son masque.»
Un regard sociologique
Même si son propos n’est que de dénoncer une certaine réalité, ce genre d’album, cru, direct, ne risque-t-il pas d’alimenter les fantasmes de certains extrêmistes? «J'essaie seulement de montrer ce qu'est le cycle infernal de cette violence qui dure depuis des décennies en banlieue», se défend l’auteur. «La violence symbolique de l'exclusion conduit à la violence physique de la révolte, qui accentue encore l'exclusion etc. Il faut casser ce cercle vicieux qui détruit tout et tout le monde. Mais pour ça il faut en parler et ne pas laisser ce sujet en pâture à l'extrême-doite…».
Captivant car dérangeant, Ligne B est une réussite d’autant plus admirable qu’il s’agit d’une première oeuvre! Car Julien Revenu, frais émoulu de l'Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, n’avait jusqu’alors réalisé que du dessin de presse et des illustrations pédagogiques pour des associations de lutte contre les discriminations. «Enfin, entre-temps, je maturais quand même le projet Ligne B», sourit-il. En tout cas, s’il continue à produire des récits aussi aboutis, celui qui s’avoue humblement «fan du japonais Otomo, du français Manu Larcenet, du suisse Frédérik Peeters et de l’américain Craig Thomson» n’aura pas longtemps à rougir face à ses illustres pairs.
Ligne B, de Julien Revenu - éd. Casterman, 17 euros