Les Goncourt, les Lumière, les Dardenne. Pour la première fois, le Festival de Cannes a choisi un duo, les frères Cohen, pour présider son prestigieux jury. Qui est Joel? Qui est Ethan? Qui fait quoi? Rien ne semble les distinguer, et pourtant. 20 Minutes a souhaité comprendre les mécanismes de la création artistique en duo. Histoires d’eux.

L’alchimie aboutie

Maxime Meilleur et son père, René, sont aux fourneaux du restaurant gastronomique La Bouitte, à Saint-Martin-de-Belleville, en Savoie. Ensemble, ils viennent de décrocher trois étoiles au Guide Michelin. «La relation que j’entretiens avec mon père est fusionnelle. Je ne me l’explique pas, ça se vit», se réjouit Maxime Meilleur.

Après quarante années de collaboration, Alain Souchon et Laurent Voulzy ont enfin sauté le pas ; ils ont sorti leur premier album en duo il y a cinq mois et ont entamé lundi leur première tournée commune. Leur première rencontre ? «Je l’ai trouvé sympathique », lance Alain Souchon. «Et après, c’est assez mystérieux comme dans toutes les relations entre deux personnes. Nous sommes devenus amis avec le temps, et nous avons a été lié par les chansons qu’on a écrites ensembles », poursuit Laurent Voulzy.

L’ambition à l’unisson

«On s’est rencontré à Paris et nous avons eu l’occasion de travailler ensemble. Nous avions les mêmes envies et la même idée, celle de créer une maison de couture indépendante où l’on ferait les choses différemment », explique Yassen Samouilov, qui forme avec Livia Stoianova le duo de créateurs d’On aura tout vu.

«On était chacun dans notre coin à essayer de chanter depuis des années et ça ne donnait pas grand-chose », se rappelle Alain Souchon. «Très vite, on a travaillé sur une première chanson ensemble. C’était J’ai dix ans. Elle passait à la radio, beaucoup, et j’étais bluffé par ça», enchaîne Laurent Voulzy.

Même constat en cuisine. «Nous n’avons pas forcément les mêmes idées, mais nous suivons le même chemin», souligne Maxime Meilleur.

La complémentarité estimée

L’admiration mutuelle est le ciment d’un duo qui fonctionne. «Je crois qu’il faut être très différent, se fasciner un peu. Il est plus musical que moi, et poète aussi. Se fasciner, ça amène le respect, une espèce de force qui vient de l’autre, qui vous impressionne un peu», confie Alain Souchon. «La façon dont Alain écrit reste un mystère pour moi. Imaginons qu’on ait un mot, juste après, il va écrire un truc et je vais me dire: “Ce mec-là, il fait mal”», renchérit Laurent Voulzy.

La complémentarité aussi chez les couturiers. «Nous avons un proverbe: “Plusieurs paires d’yeux voient mieux qu’une seule”. Seul, on ne se rend pas compte de ses erreurs. L’autre apporte un autre point de vue, cela oblige à être dans un état d’éveil permanent», estime Yassen Samouilov.

«Nous partons souvent de vieilles recettes que mon père a connu quand il était petit, et je la remets au goût du jour. Mon père amène sa sensibilité, j’apporte ma touche personnelle», explique Maxime Meilleur.

L’égo solo au repos

Créer à deux, c’est mettre son égo de côté. «Il faut se respecter l’un l’autre, mettre son ego de côté, se faire confiance », souligne encore le chef. «On a pas trop de problèmes d’ego, je crois», lance Laurent Voulzy. «Moi, si. J’ai un peu la grosse tête! », plaisante Alain Souchon. «C’est une question d’égo aussi. Il faut que chacun fasse des concessions», note le couturier.

Le dialogue comme point d’orgue

«Tout commence par des mots, des visuels, des matières, on définit ensemble ce qu’on veut comme collection», explique Yassen Samouilov. Pour travailler à deux, un seul mot d’ordre, le dialogue. «Nous discutons, on fait des dessins, et puis on fait des tests jusqu’à être satisfaits du résultat», confirme le chef.

«On se retrouve en fin de matinée, et puis on va faire un pique-nique. On discute, on se ballade un peu et on se met au boulot», résume Alain Souchon. «Il est rare qu’Alain arrive avec un texte fini et me dise, colle une musique. Souvent, on part un peu ensemble», enchaîne Laurent Voulzy.

Le succès pour lier

«Deux personnes qui travaillent ensemble s’enrichissent mutuellement», se réjouit le couturier. Une riche complicité qui a séduit Madonna, qui a choisi une création On aura tout vu pour faire la promo de son dernier album. Pour décrocher leur troisième étoile, le père et le fils «ont tiré le meilleur de chacun et réussit à transformer cela en quelque chose de cohérent», estime le cuisinier.

«Le succès nous a rapproché tout le temps, on a toujours eu envie de faire des chansons ensembles parce que cela marchait», rappelle Laurent Voulzy. Joel ou Ethan, peu importe finalement. Leurs films, créés en duo, portent une signature bien unique.