Preview BD: Découvrez les 12 premières planches de «Poison City», un manga qui dénonce la censure
MANGA•Les éditions Ki-oon et «20 Minutes» ont le plaisir de vous présenter le nouvel album de Testuya Tsutsui...Olivier Mimran
Suite aux évènements de Charlie Hebdo, le monde entier rappelait son profond attachement à la liberté d’expression, droit fondamental que chacun croit acquis dans les grandes démocraties du globe. Les choses sont pourtant loin d’être aussi évidentes. Le mangaka Tetsuya Tsutsui en a fait les frais en 2008, lorsque le premier tome de sa série Manhole fut censuré pour «incitation à la violence et à la cruauté chez les jeunes». Révolté, l’auteur s’est donc lancé dans un nouveau projet, Poison City, qui dénonce la censure encore en vigueur au Japon. 20 Minutes a recueilli son témoignage, que vous retrouverez à la suite de la preview ci-dessous. Bonne lecture!
Format de lecture japonais: chaque page se lit de haut en bas et de droite à gauche!
Résumé: Tokyo, 2019. À moins d’un an de l’ouverture des Jeux olympiques, le Japon est bien décidé à faire place nette afin de recevoir les athlètes du monde entier. Une vague de puritanisme exacerbé s’abat sur tout le pays, cristallisée par la multiplication de mouvements autoproclamés de vigilance citoyenne. Littérature, cinéma, jeu vidéo, bande dessinée: aucun mode d’expression n’est épargné. C’est dans ce climat suffocant que Mikio Hibino, jeune auteur de 32 ans, se lance un peu naïvement dans la publication d’un manga d’horreur ultra-réaliste, Dark Walker. Une démarche aux conséquences funestes qui va précipiter l’auteur et son éditeur dans l’œil du cyclone...
Rappel des faits: Tetsuya Tsutsui (Duds hunt, Manhole, Prophecy) apprend en 2013, soit cinq ans après les faits, que le premier tome d’une de ses séries a été censuré par la Section des affaires sociales et de la santé de Nagasaki. Conséquence: le livre est introuvable dans cette province du Japon.
Après s’être renseigné, le mangaka découvre que chaque livre est examiné par un comité de 39 personnes -dont 20 notables et hauts fonctionnaires- qui utilisent un système de ratio pour déterminer les œuvres «nocives pour les mineurs» (XX pages refusées sur un total de XXX pages= XX% de «nocivité»).
«Un mode de fonctionnement inacceptable»
«Ce qui me révolte le plus, c’est que l’autorité qui a censuré mon manga pense qu’il n’est pas nécessaire de prévenir les auteurs de ce genre de décisions. Je n’ai donc pas eu l’occasion de faire valoir mon cas auprès des commissaires en 2008. C’est un mode de fonctionnement inacceptable», s’insurge Testsuya Tsutsui.
Pour autant, une telle conclusion demeure exceptionnelle: «Ce type de comité de censure existe dans tous les départements et dans les 46 autres préfectures que compte le Japon. Cependant, les critères de sélection diffèrent d’un endroit à l’autre», concède le mangaka: «si certains comités sont aussi sévères que celui de Nagasaki, d’autres rendent des décisions qui s’assimilent plutôt à des lettres d’intention non suivies de conséquences réelles».
Une censure plus fréquente qu'on ne le croit
Différents systèmes de censure existent bel et bien par le monde, y compris en France (même si les interdictions y restent rarissimes). Le seinen Poison city évoque d’ailleurs le terrible Comics Code américain, aujourd’hui révolu mais régulièrement accusé d’avoir définitivement instauré une ligne éditoriale ultra-manichéenne. Selon Testuya Tsutsui, le Japon tendrait actuellement à épouser de telles dérives. «Il est important de s’interroger sur ce qui se passerait si le mode d’expression des artistes venait à être encadré de manière abusive par la loi. C’est une question essentielle pour la société dans laquelle nous évoluons aujourd’hui.»
Des dérapages évidents
Pourtant, et en dépit du fait qu’il en ait été victime, Tsutsui ne condamne pas aveuglément cet encadrement: «Je ne pense qu’il faille abolir toute notion de droit de regard du législateur sur les œuvres de l’esprit. Il peut arriver que des éditeurs ou des auteurs dérapent, une simple autorégulation du milieu éditorial n’est pas suffisante», reconnait-il.
«Cependant, la décision du législateur est tellement importante et lourde de conséquences, qu’elle ne peut pas être prise sans une réflexion intense. Elle ne peut par exemple pas être prise en réponse à un événement ou à un fait divers aussi traumatisant soit-il pour l’opinion publique. C’est ce que je crains le plus.»
Il est «aussi Charlie»
Alors que l’on évoque le débat sur censure et liberté d’expression, Tetsuya Tsutsui revient sur «la tragédie inimaginable» des attentats contre Charlie Hebdo. «J’ai été impressionné et profondément touché par les trois millions de personnes qui se sont réunies sous le mot d’ordre «Je suis Charlie» pour protester contre le terrorisme. Ça m’a fait comprendre à quel point la notion de liberté d’expression était chère aux Français».
Et au reste du monde, manifestement… «Si un jour on doit assister au déclin de la culture manga, ce sera certainement parce que la majorité des Japonais sera obsédée par la notion de ce qui “convenable”», s’inquiète le mangaka. «La plupart du temps, c’est quand on commence à opposer ce qui est “convenable” à ce qui ne l’est pas, que la liberté d’expression est menacée. La maturité culturelle de toute société se mesure aussi à son degré de tolérance vis-à-vis de ce qui peut être considéré comme “vulgaire et bête” ou pas».
«Poison City» tome 1, de Tetsuya TSUTSUI - éditions Ki-oon, 7,90 euros