CULTURE«Le Royaume»: Comment un roman de 630 pages sur le christianisme peut-il être n°1 des ventes?

«Le Royaume»: Comment un roman de 630 pages sur le christianisme peut-il être n°1 des ventes?

CULTUREDéjà 200.000 ventes. Le succès du nouveau livre d’Emmanuel Carrère était attendu. Mais à ce point?...

A propos du Royaume, Emmanuel Carrère écrit, page 431: «Je me le représente comme mon chef-d’œuvre, je rêve pour lui d’un succès planétaire». Mégalo, Emmanuel Carrère? Bien sûr, et il sera toujours le premier à le dire. Mais il avait vu juste sur un point: l’Académie du Goncourt l’a peut-être royalement snobé, ce qui l’a «dépité», Le Royaume (P.O.L) règne en tête des ventes.

A défaut des Goncourt, la critique amoureuse

En tête du classement Livres Hebdo des romans français depuis le 28 août, il devance en 4ème semaine Nothomb, Beigbeder, Foenkinos et Reinhardt, et domine aussi le classement des librairies indépendantes. Déjà 200.000 exemplaires vendus, et un tirage de 250.000, nous informent les éditions P.O.L.

Il y a bien sûr eu l’accueil critique - presque, sauf ici, ou - unanime. Mi-août, le regard soucieux et le front ridé d'Emmanuel Carrère sont en une du Magazine Littéraire, Lire et Télérama. Seuls les Inrocks lui préfèrent Eric Reinhardt. Une couverture médiatique «impressionnante, mais attendue étant donné l’attrait qu’a sa personnalité sur les journalistes», juge Nicolas Jalageas, libraire aux Cahiers de Colette à Paris. L’engouement ne l’étonne pas, «mais à ce point-là, je ne pensais pas.»

Six-cent trente pages. Le christianisme. C'est Carrère, mais tout le monde va t-il pour autant se jeter dessus? En se découvrant en juillet un intérêt insoupçonné pour les tribulations de Saint-Paul et Saint-Luc (dont Carrère suit les traces au début de notre ère), on restait encore dubitatif.

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A point nommé

Aux Cahiers de Colette, «les trois quarts des acheteurs arrivent déterminés». «C’est un livre sur lequel on n’argumente pas», renchérit Nicolas Vivès de la librairie Ombres Blanches à Toulouse, qui attend le 5ème réassort et «beaucoup de monde» pour une rencontre avec l’auteur ce mercredi. Leurs interprétations du succès?

Pour Nicolas Vivès, c’est avant tout le sujet, la question de la spiritualité, qui «interroge énormément, en temps de crise morale». «Certains pensent aussi y trouver des réponses sur l’origine de l’Occident». Sa librairie présente le livre «en littérature et en histoire».

«Carrère arrive à point nommé: le questionnement autour des religions est très présent dans les romans de la rentrée», rappelle Christine Ferrand, rédactrice en chef de Livres Hebdo, qui cite Une éducation catholique de Catherine Cusset ou l’essai d’Alexis Jenni, Son visage et le tien.

«C’est pas Christine Boutin»

«Surtout, Carrère n’est pas dévot, ajoute Nicolas Vivès. C'est pas Christine Boutin, il en est revenu, les lecteurs ont bien ça en tête». «Personne ne questionne comme lui les fondements de la religion en y ajoutant du commentaire critique», acquiesce Nicolas Jalageas.

Justement, n’achète-t-on pas Le Royaume d’abord pour l’auteur? C’est l’avis du libraire parisien. «Il est très connu du grand public, qui apprécie son talent de conteur, l’autobiographie mêlée au reportage, et le retrouve presque comme un ami». Depuis L’Adversaire, et surtout Un roman russe et D’autres vies que la mienne, Carrère nous invite chez lui, avec sa femme, ses fils, ses angoisses. Des confidences que l’on retrouve dans Le Royaume, qu’il raconte l'influence de sa marraine Jacqueline ou le souvenir ému d’une vidéo porno…

«Dès qu'il sort un livre, il dépasse 100.000 ventes», rappelle Christine Ferrand. Limonov, encensé par The Guardian: plus de 300.000 ventes.

Petit joueur, face à Jonathan Littell

Quant au pavé… «Certains ne vont peut-être pas au bout», glisse le libraire toulousain. A Paris, «certains font la remarque, "oh, quand j’aurai le temps, quand ce sera en poche", mais ça, je l’entends souvent». Les deux citent le triomphe des Bienveillantes de Jonathan Littell et ses… 900 pages.

Le consensus est en tout cas frappant. On peut le rapprocher, pour la rentrée d’hiver, de Réparer les vivants. «Mais en septembre dernier, aucun livre ne rassemblait autant libraires, critiques et lecteurs», estime Christine Ferrand, qui parle d'une «rentrée assez consensuelle». «Enfin, c’est normal qu’il soit n°1. Et c’est une bonne chose, car le livre est très bon.»

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