Jack Lang: «La beauté du patrimoine est défigurée par des panneaux publicitaires abusifs»
PATRIMOINE•Alors que les Journées du patrimoine se déroulent ce week-end, celui qui les avait initiées, il y a 30 ans,publie un manifeste «Ouvrons les yeux!» dans lequel il souhaite que s'engage une réflexion sur l'environnement urbain...Propos recueillis par Joel Metreau
Ministre de la Culture et de la Communication, de 1981 à 1986, puis de 1988 à 1993, Jack Lang imagine les Journées du Patrimoine il y a trente ans. Une initiative qui remporte le succès, si bien qu’elle est adoptée par d’autres pays européens. En 2013, ce sont plus de 12 millions de visiteurs en France qui s’étaient rendus en un week-end dans plus de 16.000 sites. Mais pour l’inventeur de ces Journées et actuel président de l'Institut du Monde Arabe, il est temps de s'attaquer à la laideur dans les villes. Ce qu'il explique dans son manifeste Ouvrons les yeux! (HC Editions, 4,50 euros).
En 1984, comment l'idée des Journées du patrimoine est reçue dans le gouvernement?
J'étais déjà ministre depuis trois ans, j’avais pu conquérir la confiance de mes collègues et du Président de la République. L’initiative a suscité immédiatement l’adhésion du gouvernement. J’avais voulu organiser ces Journées du patrimoine sur une idée simple: autoriser à tous les citoyens l'accès aux monuments qui sont les leurs, à ce bien commun. Les impôts par lesquels on restaure les monuments viennent des citoyens. Il fallait rendre aux Français ce qui leur appartient.
Dans votre ouvrage, vous évoquez un massacre du patrimoine avant votre arrivée?
Oui, on a beaucoup cassé et détruit. Finalement, petit à petit une conscience politique est née. Les citoyens sont devenus des gardiens vigilants du patrimoine. Je souhaiterais que cette même vigilance se porte aussi sur la vie au quotidien.
Notamment sur les publicités que vous trouvez parfois intrusives?
Pas seulement. Dans certaines villes, la beauté du patrimoine est défigurée par des panneaux publicitaires abusifs, un mobilier urbain incongru et des par des constructions aberrantes et informes. Je préconise qu’on soit capable de faire une politique du cadre de vie qui associerait, autour du ministère de la culture, les services par villes, de l’architecture et du paysage. Donc une politique d’harmonie collective dans les villes et les campagnes. Ce n’est pas simple car elle doit s’articuler avec les villes, les départements et les associations.
Pour vous, le patrimoine, c’est non seulement de la pierre mais aussi du paysage?
Oui, le paysage de l’urbain, qui constitue notre cadre de vie.
Est-ce que cette laideur est inéluctable?
Il existe des villes avec beaucoup de goût et une politique nouvelle de l’art de vivre. On devrait mettre en exemple les villes ou les villages qui sont des témoignages d’une réussite architecturale, comme à Bordeaux, Blois [ville dont il a été le maire de 1989 à 2000] ou Nancy.
Dans Ouvrons les yeux! vous ironisez sur «cette spécialité française qu’est la décoration de rond-point». Pourquoi?
C’est ruineux, inutile et ridicule, un gaspillage d’argent. C’est absurde. C’est un abus incroyable, je ne suis pas le seul à le dénoncer. Cela défigure le paysage urbain.
Et «la France des pavillons dans charme»?
On ne va pas condamner les habitants de ces pavillons. Mais on peut sans doute embellir, pourvu qu’on s’y emploie. Il faut agir pour améliorer ce qui est déjà construit et imaginer le futur, comme dans les pays nordiques ou l’Allemagne, où on tient compte de l’harmonie des sites et des paysages.
A propos de paysage urbain, avez-vous vu commencer à se dresser la Canopée dans le centre de Paris?
Je n’ai vu que les maquettes. Déjà, j’étais contre la destruction des Halles de Baltard. Quand on met bout à bout ce qu’a coûté le Forum des halles, ces jardins plus ou moins heureux, c’est beaucoup d’argent. On aurait pu faire de ces halles des maisons vivantes et ouvertes de la culture.
Que ferez-vous pour les Journées de patrimoine cette année?
Je serais à l’institut national du Monde Arabe, je milite pour que ce bâtiment créé par Jean Nouvel soit classé monument historique. Je serai à Paris en tout cas. J’aime bien me laisser porter.