Pourquoi lire l’envoûtant et triste «Joyland» de Stephen King
LIVRE•Paru début mai, «Joyland» est un roman dont la force repose sur son parfum de nostalgie…Joel Metreau
C’est un des best-sellers du moment en France, tiré à 120.000 exemplaires chez Albin Michel. Joyland s’est hissé au sixième rang des meilleures ventes selon le classement Ipsos/Livres Hebdo, de la semaine du 5 au 11 mai 2014. Après Docteur Sleep, la suite de Shining, Stephen King livre un roman empreint de nostalgie.
Garanti sans fantastique
L’histoire de Joyland a été inspirée à King par une image qu’il a en tête depuis une vingtaine d’années, celle d’un garçon en fauteuil roulant qui fait voler un cerf-volant sur la plage. Alors même si un fantôme rôde dans les pages, il ne s’agit pas d’un roman d’horreur ou d’épouvante. «Suspense, terreur», proclame la quatrième de couverture. Le suspense dans Joyland est léger et on n’y frémit pas vraiment. «Les clowns vous ont toujours fait peur?», interroge cette même quatrième de couv. Pas de quoi, ils se font plutôt discrets. Ici, il s’agit d’un roman noir, comme en témoigne la dédicace de l’ouvrage à Donald Westlake, écrivain prolifique de polars, décédé en 2008. Stephen King avait emprunté son pseudonyme, Richard Bachman, en hommage à Richard Stark, celui de Donald Westlake.
Un parc d’attractions bizarre
Joyland n’est peut-être pas un roman fantastique, mais sa description surréaliste du parc d’attractions qui donne son titre au livre verse dans le grotesque et l’étrange. On y croise des personnages loufoques comme la diseuse de bonne aventure «Madame Fortuna» ou Bradley Easterbook, très vieux propriétaire du lieu, aux allures de croque-mort. Ses employés s’y expriment en «Parlure», un argot de forains. Le «raquedal», c’est le «client râleur et grippe-sou» et la «niche à Médor», c’est «la cabine de commande d’un manège». La scène la plus terrifiante du livre, c’est lorsque le narrateur «porte la fourrure», soit le lourd et embarassant costume de Howie le chien, la mascotte de Joyland.
Le deuil d’une histoire d’amour
Le plus envoûtant dans ce roman, c’est la nostalgie qui l’imprègne. Le héros Devin Jones, «puceau de vingt et un an rêvant de devenir écrivain», va passer un été comme employé de ce parc d’attractions de Caroline du Nord, en 1973. Une année charnière pour les Etats-Unis, entre le scandale du Watergate et l’embargo de l’Opep sur le pétrole. Au cœur de Joyland, s’inscrivent le deuil de l’histoire d’amour du héros, l’amitié naissante avec deux autres jeunes et la rencontre avec Mike, un jeune garçon atteint d’une maladie incurable, et sa mère. D’ailleurs, Stephen King qualifiait son roman de «sorte d’histoire de passage à l’âge adulte».
Qui est le meurtrier?
La tension dramatique est relevée par un assassinat qui intrigue Devin Jones. Un crime a été commis dans la «Maison de l’horreur», attraction surnommée «Tunnel du Pelotage». Une jeune femme appelée Linda Gray a été égorgée quatre ans plus tôt, son esprit hanterait encore les lieux. De plus, des meurtres semblables se sont produits dans la région, accréditant la thèse d’un tueur en série. Aux Etats-Unis, ce roman de King a été publié par la maison d’édition Hard Case Crime, créée en 2004 et spécialisée dans la littérature pulp et le roman noir. L’une de ses marques de fabrique: des couvertures rétro. Pour Joyland, deux avaient été réalisées dont l’une par Robert McGinnis, célèbre illustrateur pour des affiches de James Bond. Dommage qu’elles n’aient pas été reprises par Albin Michel pour l’édition française.