Que vaut le dernier Milan Kundera? Réponse en trois mots
CULTURE•«La fête de l’insignifiance», court, joyeux et dernier roman de Milan Kundera paru le 3 avril s’est hissé en seulement quinze jours au sommet des ventes…Annabelle Laurent
… une surprise: Milan Kundera a pris tout le monde de court. Personne, pas même Antoine Gallimard, n’attendait de signe de l’auteur de 85 ans, qui n’avait pas publié de roman depuis L’ignorance en 2003, et avait été, en 2011, le premier écrivain vivant à faire son entrée dans La Pléiade, une consécration aux allures de conclusion. Un nouveau roman? Il aurait été difficile de s’en douter tant Milan Kundera fuit la scène publique: il n’accorde plus d’interview aux journalistes depuis qu’un journal américain a déformé ses propos… il y a près de 30 ans, en 1985. Date à laquelle il déclarait: «Le romancier, est celui qui, selon Flaubert, veut disparaître derrière son œuvre. Il doit donc renoncer au rôle de personnalité publique.» Mais pas à une surprise concoctée secrètement depuis son appartement de Montparnasse.
… une fête: Il y a Alain, qui, captivé par la mode des nombrils dénudés, cherche à en «définir l’orientation érotique». Ramon, qui veut voir l’exposition Chagall, et une, deux, trois fois, renonce, découragé par la queue, signe d’une «planète trop peuplée». Charles, hanté par la voix de sa mère qui se serait bien passée de sa naissance, et Caliban, acteur qui à défaut de pouvoir jouer s’improvise serveur Pakistanais en s’inventant une langue fictive (une scène jubilatoire). Les quatre amis arpentent les allées du Luxembourg, boivent un peu trop au cocktail d’anniversaire d’un malade imaginaire, digressent sur Kant, les anges et la prostate de Kalinine [un compagnon de route de Staline]… et célèbrent, avec Kundera, «la fête de l’insignifiance». L’insignifiance contre le règne du premier degré et la gravité d’un monde où, selon l’écrivain, la blague a disparu depuis que Staline a réussi à faire croire qu’il avait tué 24 perdrix sur une branche d’arbre. A l’avant-dernière page, Kundera glisse un conseil d'ami: «Respirez cette insignifiance qui nous entoure, elle est clé de la sagesse, elle est la clé de la bonne humeur…»
… un succès: Sorti en librairie le 3 avril, le roman s’est hissé dans la semaine du 7 au 13 avril en troisième place des ventes selon le classement Ipsos/Livres Hebdo, derrière les abonnés aux best-sellers Guillaume Musso et Katherine Pancol, et domine en parallèle le classement Datalib établi d’après un panel de 230 librairies indépendantes. Un succès «espéré, oui, attendu, non» par Gallimard dont le service commercial indique à 20 Minutes en être «à la 5e réimpression et à 100.000 tirages». Cet engouement du public, La fête… le doit à une critique cette fois unanime, «séduite par la fraîcheur intacte de l'humour alors qu’elle avait mal accueilli ses derniers livres», estime le service commercial, et à une forte «visibilité, grâce à un fort tirage, dans un marché de l’offre. On a joué sur la notoriété de l’auteur auprès des libraires». Déchu de sa nationalité tchèque, naturalisé en 1981, acclamé en 1984 pour L'Insoutenable légèreté de l'être, Kundera poursuit donc son idylle - contrariée au début des années 2000 - avec les lecteurs français, dont il utilise la langue pour écrire depuis les années 1980. En 1993, il confiait au Monde, lors d'une rare interview accordée par écrit, «C'est ici que j'ai noué les amitiés qui me sont les plus chères, que j'ai écrit mes livres les plus mûrs, ici aussi que j'ai été compris plus tôt et mieux qu'ailleurs».