BDQuand orient et occident se confrontent en BD

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Olivier Mimran

Olivier Mimran

En sept albums, Nicolas Presl s’est bâti une réputation d’auteur «à part». D’abord pour des raisons purement formelles: la plupart de ses ouvrages sont totalement dépourvus de textes et de dialogues et ses graphismes, souvent torturés, déroutent autant qu’ils fascinent. Ensuite parce qu’il s’empare généralement de sujets peu «glamours», comme les dérives colonialistes (Divine Colonie, 2004), totalitaires (Fabrica, 2009) ou, déjà, le choc des civilisations (Heureux qui comme, 2012). Orientalisme ne déroge pas à ces règles, qui met encore davantage l’accent sur la complexité des rapports humains et des confrontations culturelles.

Tradition contre modernité

On y suit, dans une région aride et montagneuse (dont on devine, au gré de quelques références graphiques, qu’il s’agit d’une province turque), le quotidien de gens simples: un jeune berger, féru de rock et épris de modernité; un vieillard pieux et gardien des traditions; une jeune fille qui rêve d’amour et de liberté; et un couple de touristes occidentaux, ravi de photographier des autochtones si typiques. Les trois premiers incarnent un certain archaïsme, contraignant mais protecteur. Les derniers personnifient la modernité et ses paradoxes (leur ouverture d’esprit ne les empêche pas de se comporter avec un peu de mépris).


Une allégorie de la mondialisation

Les destins de ces cinq personnages finiront évidemment par s’entremêler, comme une allégorie visionnaire de la mondialisation: en dépit de leurs différences, notamment culturelles, et à la faveur d’une mobilité sans cesse facilitée, les peuples ne sont-ils pas inéluctablement voués à l’amalgame? Les choses n’en sont pourtant pas encore là, et la seconde partie du récit opposera de nouveau, matériellement, des protagonistes qui s’étaient pourtant humainement rapprochés.

Avant-garde

Captivant bien qu’un peu dérangeant, cet album de 184 pages en noir et blanc -exceptés quelques symboles ponctuellement parés de couleur- comporte presqu’exclusivement des planches en gaufrier (4 cases de taille identique). Un dépouillement qui souligne le dessin si particulier de Nicolas Presl, dont les personnages, déformés, aux traits presque bestiaux et aux attitudes corporelles improbables, semblent régulièrement rendre hommage à Picasso, que l’auteur avoue idolâtrer (voir illustration ci-contre). Et qui offre une indispensable limpidité à une lecture difficile, en ce qu’elle nous pousse à reconsidérer notre propre rapport au monde.

Déjà deux fois sélectionné au festival de la BD d’Angoulême (avec Le fils de l’ours père, en 2011, et Heureux qui comme, en 2013), ce vendéen désormais installé en Bulgarie rappelle, avec son Orientalisme, qu’il compte définitivement parmi les auteurs les plus ambitieux et avant-gardistes du moment.

«Orientalisme», de Nicolas Presl — éditions Atrabile, 22 euros