«Les livres pour enfants ne sont pas des manuels de morale»: La littérature jeunesse répond à Copé
LIVRES•Les auteurs et éditeurs de littérature de jeunesse sont nombreux à s’alarmer des propos tenus par Jean-François Copé dimanche, au sujet de l’album de jeunesse «Tous à poil!»…Annabelle Laurent
A l’indignation de Jean-François Copé répond l’indignation du monde de la littérature jeunesse. «Les livres pour enfants ne sont pas des manuels de morale», a rétorqué lundi dans une tribune au Monde Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la jeunesse de Montreuil. «La littérature les ouvre à de grands sujets: la vie, les rapports à l'adulte, l'altérité, la mort, le monde…», et ce avec «une distance que les enfants comprennent parfaitement», rappelle-t-elle.
Des «attaques convergentes»
Contactée par 20 Minutes, Sylvie Vassallo explique s’inquiéter «d’attaques convergentes» ces derniers mois, citant différents ouvrages mis en cause, en plus du fameux Tous à poil!, dont les ventes sont dopées depuis les propos de Copé: Tango a deux papas, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi? ou encore Le jour du slip/Je porte la culotte aux mêmes éditions du Rouergue.
«Il y a vraiment un débat à avoir sur le rôle de la littérature pour enfants», insiste-t-elle, rappelant que «les livres sont respectueux de ce qu’ils sont en capacité de comprendre et n’ont rien de délictueux», puisqu’une loi les encadre, celle du 16 juillet 1949. «Tout le monde ne peut pas publier tout et n’importe quoi en France!».
Claude Ponti: «Insultant et méprisant»
«Oublier qu'un livre pour enfant est toujours acheté par un(e) adulte (...) est bête, ces personnes adultes savent lire et comprendre», écrit sur sa page Facebook le célèbre auteur de jeunesse Claude Ponti, qui juge cela «insultant et méprisant» pour ces adultes «jugés incapables». Il s'indigne: «Chaque fois qu'une personne politique parle de ce qu'elle ne connait pas, elle se ridiculise, et elle fait du mal, bêtement, à la politique et sciemment à ce qu'elle vise».
Les auteurs de «Tous à poil!» expliquent leur démarche
Claire Franek et Marc Daniau, auteurs de Tous à poil! expliquent au Figaro avoir voulu «proposer un regard plus juste sur le corps» aux enfants, partant du principe qu’ils sont «environnés d'images de corps plus ou moins dévêtus», via des images «souvent trafiquées, tronquées, modifiées par la chirurgie esthétique ou par Photoshop». L’éditrice des éditions du Rouergue regrette «que la littérature jeunesse devienne un enjeu dans un débat sur la supposée théorie du genre. D'autant que depuis quelque temps, d'autres de nos livres sont violemment critiqués».
«L’affaire Monchaux» en 1985
Lundi soir, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti dénonçait les pressions contre «une trentaine de bibliothèques publiques» par «des mouvements extrémistes» tandis que le Printemps Français appelait ce mardi les parents à contacter les bibliothèques pour qu'elles retirent des rayonnages les livres reflétant à ses yeux la «théorie du genre».
Ce contexte peut rappeler la polémique déclenchée en 1985 par Marie-Claude Monchaux et son pamphlet Ecrits pour nuire – Littérature enfantine et subversion, qui affichait alors en quatrième de couverture «La gangrène de la Subversion (…) s’est attaquée à l’Enfant. Beaucoup de parents achètent des livres sans se rendre compte qu'ils véhiculent les pires idées sur le plan moral ou social et qu'ils détruisent lentement et sciemment les valeurs du monde libre», comme le rappelle Daniel Delbrassine dans Censure et Autocensure dans le Roman pour la jeunesse. L'affaire Monchaux, aux conséquences durables puisque des municipalités d'extrême-droite comme Orange avaient retiré des livres dans les années 1990, étant pour lui «la plus célèbre des polémiques», bien qu’«on ne compte plus, depuis l’Abbé Béthléem, les tentatives de soumettre la littérature pour la jeunesse à un strict contrôle».