«Le zombie incarne les craintes d'une époque»

«Le zombie incarne les craintes d'une époque»

CULTURE – Dans son essai «Petite philosophie du zombie» (PUF), le sociologue Maxime Coulombe analyse l'engouement pour cette créature fantastique...
Recueilli par Joël Métreau

Recueilli par Joël Métreau

Les zombies sont toujours aussi voraces. Sortie du film «Resident Evil : Retribution» ce mercredi, ainsi que du jeu vidéo «Resident Evil 6» le 2 octobre, diffusion de la saison 3 de la série «Walking Dead» sur AMC le 14 octobre... Dans Petite philosophie du zombie (PUF), le sociologue et historien de l'art contemporain Maxime Coulombe décrypte notre appétit pour les mort-vivants.

Pourquoi le zombie est-il un révélateur de nos sociétés?
Le zombie est une créature qui, dans les différentes cultures où il a été invoqué et dans son histoire, s’est transformée pour suivre les craintes d’une époque. En Haïti, par exemple, il a incarné la crainte de l’esclavage.

Quelles peurs incarne-t-il aujourd’hui?
Il incarne d’abord, de façon la plus évidente, un retour du refoulé face à un certain hygiénisme, notre obsession de la propreté, mais aussi notre difficulté à donner du sens de la mort. Car le zombie est le retour d’une mort vide de sens; en cela, il se distingue du fantôme. Le fantôme -on le voit déjà dans le Hamlet de Shakespeare- revient car il est «mal mort». Il attend une forme de réparation et revient pour retisser du lien social. Le zombie revient sans véritable raison. Dans le cinéma, l’explication de son retour demeure vague.

Comment le zombie remet-il en cause la société occidentale contemporaine?
Le zombie est un «mort-vivant», car une toute petite partie de son cerveau s’est réanimée. La partie la plus profonde et la plus primitive. La figure du zombie, par sa violence, par son cannibalisme, sous-entend que l’homme est fondamentalement mauvais, un monstre sous son vernis de civilisation. Le cinéma de zombies montre de différentes façons ce qu’est un individu qui aurait perdu toute civilisation. Par exemple, il y a une forme de retour à l’état de nature chez les survivants, qui n’ont quasiment plus rien pour vivre. Ils vont devenir de plus en plus individualistes et abandonner leurs proches pour tenter de survivre. Il y a aussi, évidemment, une forme de retour à l’état de nature chez le zombie, qui n’a plus que des pulsions agressives, brutales et cannibales.

La question de la religion est peu abordée dans votre livre. Pourquoi?
Elle est présente chez Romero de façon indirecte dans sa figure du zombie, cette spécificité ne sera d’ailleurs pas vraiment reprise par la suite. Il prétend que, pour une raison inconnue, tous les morts reviennent à la vie (les suicidés, les morts de manière naturelle…) dans une certaine forme d’apocalypse chrétienne. Ça n’existera plus ensuite: le zombie va devenir la figure d’une épidémie, d’une contagion. Pour devenir zombie, il faudra mourir de la main d’un zombie, être mangé ou mordu. Il y a une figure vaguement religieuse du zombie chez Romero. Tandis que plus tard, il devient une figure post-moderne, marquée entre autres par l’effondrement des discours religieux.

Pourquoi le zombie est-il si populaire au cinéma?
La popularité du zombie est un peu paradoxale. Il n’est pas aussi sexy que le vampire, il attire beaucoup moins les jeunes filles. C’est difficile de s’identifier à lui. En général, dans les films d’horreur et d’action, les protagonistes sont confrontés à un ennemi qui est plus fort qu’eux. Il faudra faire équipe ou utiliser la ruse pour gagner. Dans le cinéma de zombies, c’est l’inverse. En général, l’ennemi est beaucoup moins habile et dangereux. Malgré tout, les protagonistes finissent par perdre car incapables de s’unir et de faire preuve d’ingéniosité. Alors pourquoi est-ce qu’on aime autant aller au cinéma pour voir la race humaine perdre face à un ennemi qui est un peu débile? Il faut inscrire le zombie dans une catégorie plus large, celle du cinéma d’apocalypse. Il y a une part de nous qui souhaite, comme un fantasme, assister à la fin des temps, comme une part de défoulement. C’est comme en l’an 2000, avec le fameux bug, on vivait tous une sorte d’excitation, un peu terrifiés. Le cinéma de zombie manifeste une forme de pessimisme contemporain.

Pourquoi le zombie fait-il également rire, comme dans le jeu vidéo «Dead Rising»?
Plus les jeux vidéo sont simples, plus les zombies sont en général grotesques, comme «Plantes contre zombies». On aime rire des choses qui nous font peur. Déjà Freud le disait bien: le rire, c’est la façon de se confronter à ce qui est refoulé. On gagne contre le zombie dans ces jeux, on l’incarne rarement ou de façon amusante. Ça nous défoule car le zombie n’étant plus un humain, c’est la cible politiquement correcte par excellence. On ne descend pas un terroriste, avec toutes les ambiguïtés morales que ça peut causer. Le zombie a été exclu de la condition humaine, on peut en faire ce qu’on veut.

Pensez-vous que le zombie est une figure qui va rester?
Entre le zombie des années 1960 et aujourd’hui, il y a eu des époques où il avait pratiquement disparu, ou était moins à la mode. Ce qui est certain, c’est qu’il va se transformer. Aujourd’hui, on voit des zombies courir plus rapidement ou doté d’une conscience relative, comme dans «Land of the dead» de Romero. On le verra se métamorphoser pour coller à nos propres angoisses.