Le festival de Cannes, à quoi ça sert?
DECRYPTAGE•A sortir de votre placard votre robe immettable mais pas que...Alice Antheaume
Des décennies que Cannes flashe pendant son festival de cinéma. Mais outre guetter Brad Pitt ou la bretelle rebelle de Sophie Morceau et décerner des palmes, qu'y fait-on? Et à quoi sert le festival de Cannes au fond?
- A voir des films avant les autres. Des films parfois censurés dans leur pays ou qui ne sont pas encore sortis en salles. L'année dernière, les festivaliers ont ainsi découvert «Vicky Cristina Barcelona» de Woody Allen cinq mois avant sa sortie officielle et «Two Lovers» de James Gray six mois avant.
- A parler en VO. La classe, c'est de ne connaître du film que son titre original, car à Cannes, les films étrangers projetés ne sont pas encore traduits en français. Et lancer «j'ai vu Los Abrazos rotos», ça en jette quand même plus que de dire «j'ai vu Les Etreintes brisées», le dernier Pedro Almodovar.
- A servir l'esthétique cinéphile. C'est le règlement officiel qui le dit: il s'agit «de révéler et de mettre en valeur des œuvres de qualité en vue de servir l'évolution de l'art cinématographique (...)». Le but: que Cannes soit un «baromètre mondial du cinéma», comme le clame Gilles Jacob, le président du festival.
- A sortir de son placard les robes, trop décolletées, trop courtes, trop flashy, que l'on croyait immettables. Car en fait, à Cannes, elles sont mettables.
- A faire genre la crise, quelle crise?«Nous avons constaté une légère érosion du côté des professionnels du monde entier qui viendraient un peu moins nombreux et un peu moins longtemps, a dit Gilles Jacob. C'est le seul signe de la crise que nous ayons actuellement. Mais les projections sont pleines, les stands sont pleins».
- A faire du business. Il n'y a pas que les films de la sélection officielle. En coulisses, au marché du film de 2008, 10.709 professionnels venus de 97 pays, se sont battus pour vendre 5.613 films, dont certains n'étaient pas encore tournés.
- A booster la fréquentation dans les salles. Certains films primés à Cannes ne seraient peut-être jamais sortis sur les écrans sans leur palme. Et la curiosité pour un film palmé aidant, cela augmente souvent le nombre de spectateurs venus voir ce film («Entre les murs», palme d'or 2008, a fait 1,5 million d'entrées en France, «Le vent se lève», de Ken Loach, palme d'or en 2006, plus d'un million d'entrées; de même, «Yol», le film kurde palme d'or en 1982, a généré 800.000 entrées).
Mais l'impact d'une palme sur les entrées n'est pas forcément comparable à celui du prix Goncourt sur les ventes d'un livre. Ainsi, «Le Scaphandre et le papillon», prix de la mise en scène en 2007, a eu une carrière décevante dans les salles. Inversement, «La Vie des autres», absent de la sélection cannoise (et de celle du festival de Berlin), n'a pas eu besoin d'un prix à Cannes pour cartonner dans les salles avec plus d'1,4 million d'entrées.
- A rallier un gotha/ghetto.«Toute l'année, tu te demandes pourquoi tu fais ce métier, raconte un journaliste, et à Cannes, tu te retrouves soudain à monter les marches sous le regard des badauds, et même si tu n'es pas Monica Bellucci, ça te conforte dans l'illusion que tu appartiens à ce monde.»
Même ambiance dans les maisons de production et de distribution qui délocalisent leurs salariés de Paris à Cannes pendant la durée du festival. Ils rencontrent leurs pairs, dans un grand rassemblement narcisso-corporatiste, et prouvent qu'ils sont «bankable». Car descendre pendant 10 jours à Cannes, ça coûte une fortune, ne serait-ce que pour se loger. En effet, le festival a beau se tenir en mai, hôtels et agents immobiliers pratiquent tous des tarifs haute saison pendant l'événement.
- A entrer dans (le hall d') un palace, un vrai, avec des étoiles, des portiers et des voituriers, comme ceux des trois spots (le Majestic, le Carlton et le Martinez) qui jalonnent la croisette.
- A écouler ses cartes de visite. Près de 4.300 journalistes du monde entier débarquent sur la croisette. De quoi faire du réseautage.