Cannes, César, Oscars... Pourquoi n’y a-t-il pas de «meilleure réalisatrice»?
RECOMPENSES•Si Emma Watson a gagné un prix non-genré aux MTV Movie & TV Awards, c’est plus compliqué à Cannes et c’est la faute de la sous-représentation des femmes…V. J.
L'essentiel
- L’actrice Emma Watson a remporté un prix d’interprétation non-genré
- La plupart des récompenses conservent des catégories féminines et masculines pour les prix d’interprétation
- Cette distinction a aussi ses vertus
Mercredi débute la 70e édition du Festival de Cannes, et le 28 mai sera remise la Palme d’or, mais également les prix de la mise en scène et du scénario ou encore les prix d’interprétations masculine et féminine. Oui, deux prix pour les acteurs, selon le sexe, le genre, là où la distinction n’est pas faite pour les autres catégories. Pourquoi ? En fait, c’est comme ça depuis toujours. Cannes n’est d’ailleurs pas une exception, toutes les cérémonies artistiques séparent hommes et femmes : César, Oscars, Victoires de la musique, Emmy Awards, MTV Movie & TV Awards… Ah non pas MTV.
Des prix non-genrés déjà en 2006 et 2007
En effet, lors de sa dernière cérémonie, les MTV Movie & TV Awards ont proposé un prix d’interprétation combiné, non-genré, remis à Emma Watson pour La Belle et la bête, au détriment de Hugh Jackman (Logan), James McAvoy (Split) ou Taraji P. Henson (Les Figures de l’ombre). Contrairement à ce qu’ont affirmé la majorité des médias, il ne s’agissait pas d’une première. MTV s’était déjà essayée à l’exercice en 2006 et 2007, avec à chaque fois la victoire d’un homme. Sans oublier que d’autres catégories (meilleure performance comique, meilleure révélation, meilleur héros…) transcendent le genre depuis plusieurs années et maintenant même le support. « Le public ne voit pas cette ligne de distinction entre hommes et femmes, donc on s’est dit : supprimons-la !, justifie le président de la chaîne Chris McCarthy. Il ne voit pas non plus la différence entre cinéma et télévision, il voit juste le contenu formidable, donc supprimons-la ! »
« Cette distinction est-elle vraiment nécessaire ? »
Toujours est-il qu’Emma Watson, connue pour son engagement pour les droits des femmes, a salué l’initiative : « Pour moi, jouer la comédie, c’est se mettre dans la peau d’un personnage. Il n’y a pas besoin de le séparer en deux catégories. L’empathie et l’imagination ne devraient pas avoir de limite. » Autre symbole ce soir-là, MTV avait choisi comme remettant l’actrice Asia Kate Dillon (Orange is the new black, Billions), qui se revendique ni homme ni femme et qui avait interpellé les Emmy Awards sur la séparation acteurs/actrices : « Cette distinction est-elle vraiment nécessaire ? ».
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Une seule femme oscarisée
Un premier pas pour la reconnaissance des personnes non-binaires, et une nouvelle avancée pour l’égalité homme/femme. MTV l’a fait, alors pourquoi pas Cannes ? Peut-être parce que cette distinction est aussi une bonne chose. Ou plutôt : l’existence de catégories 100 % femmes est une bonne chose. En effet, si ces catégories n’existaient pas, les femmes ne gagneraient pas, comme aux MTV Movie & TV Awards en 2006 et 2007. Il suffit de voir les autres catégories dites « neutres ». Une seule femme a ainsi gagné l’Oscar du meilleur réalisateur en 89 ans d’histoire (Kathryn Bigelow pour Démineurs en 2009), de même pour la Palme d’or (Jane Campion pour La Leçon de piano en 1993).
Un mal pour un bien ?
Le problème est donc pour l’instant moins le genre des prix que la sous-représentation des femmes dans l’industrie artistique en général, et cinématographique en particulier. Elles n’ont joué que dans 29 % des blockbusters hollywoodiens en 2016, et un tiers seulement y tenait le premier rôle. De l’autre côté de la caméra et de l’Atlantique, seuls 21 % des films français sont réalisés par des femmes. Il serait presque difficile de trouver assez de nominées pour un hypothétique César de la meilleure réalisatrice. Les prix genrés peuvent donc être vus pour l’instant comme un mal pour un bien, et si l’initiative de MTV est à saluer, c’est surtout la victoire d’Emma Watson qu’il faut fêter.