INTERVIEW«Ma Loute»: Fabrice Luchini parle de «castration totale»

Festival de Cannes: Fabrice Luchini parle de «castration totale» à propos du tournage de «Ma Loute»

INTERVIEWLe comédien, tordant en bourgeois farfelu dans ce film policier pour rire, évoque nonsans truculence ses difficultés pour travailler avec le cinéaste Bruno Dumont…
De notre envoyée spéciale à Cannes, Caroline Vié

De notre envoyée spéciale à Cannes, Caroline Vié

Fabrice Luchini ne s’est pas éclaté sur le tournage de Ma Loute de Bruno Dumont et il ne l’envoie pas dire. Il ne mâche pas ses mots au sujet du cinéaste dans sa biographie Comédie Française (Editions Flammarion). L’acteur livre pourtant une performance inspirée dans cette comédie qui traite de cannibalisme et d’inceste avec un humour revigorant. 20 Minutes a cuisiné le comédien sur les propos très durs qu’il tient sur Dumont à qui il reproche sa froideur et son manque de communication. Il ne s’est pas fait prier pour répondre.

Regrettez-vous vos propos plutôt durs sur Bruno Dumont ?

Je n’ai écrit que la vérité. Je ne conseille pas aux acteurs qui ont besoin d’être encouragés, aimés et admirés d’aller bosser chez Dumont. Tourner avec lui, c’est la castration totale. Il vous fait frôler constamment le ridicule avec ce qu’il vous fait jouer et porter. Il ne faut pas voir peur de s’enlaidir pour travailler pour lui.

Vous avez besoin d’être aimé pour jouer ?

Tous les acteurs ont besoin de ça. Une certaine anxiété et une avidité d’affection sont les moteurs de ce métier. Pour un comédien, tout tourne autour du « regardez moi et admirez-moi ». Si vous avez besoin de repères psychologiques pour construire votre personnage, il faut aussi oublier l’univers de Bruno Dumont.

Vous saviez pourtant à quoi vous attendre en ayant vu ses films précédents ?

Je ne les ai pas vraiment vus car je ne suis pas cinéphile. Alors évidemment, je me suis vraiment demandé ce que je foutais là. Si je n’avais pas eu quarante ans de thérapie derrière moi, j’aurais quitté le tournage. J’ai même fini par lui dire : « Ce que tu veux, je ne l’ai pas en magasin, on va laisser tomber ». J’en avais assez de n’être qu’une couleur sur sa palette.

Et ça a fini par s’arranger ?

Oui, quand il m’a demandé de marcher comme Aldo Maccione, de porter le costume et de trouver un accent particulier. Une fois que j’ai eu accepté de lui obéir et qu’il a vu que je pouvais jouer un fou décadent, ça s’est arrangé. Il m’a fait sortir de ce que je fais habituellement, ce qui m’a été désagréable au possible.

Donc, vous n’aimez pas sortir de votre zone de confort ?

Ce n’est pas faux. Je veux bien être malmené au théâtre par de grands auteurs que j’admire parce que je me sens le patron. Mais là, cela n’a vraiment pas été une partie de plaisir et, bien que nous ayons fini par nous rapprocher, je ne me vois pas remettre le couvert. Heureusement que l’accueil critique semble bon…

Vous êtes content de l’avoir fait finalement ?

Content ? Le mot est excessif… Disons que j’ai vécu une expérience unique. Faut voir comment le public va réagir maintenant. Je suis impatient de le revoir dans une salle. La première fois, je n’ai regardé que ma propre pomme en demandant si j’étais bon, donc je n’ai pas beaucoup ri.

Vous êtes donc un égocentrique assumé ?

Tous les acteurs le sont ! La perception d’un comédien pour un film dans lequel il joue ne peut pas être objective. Ceux qui prétendent ne pas avoir d’ego, ne pas aimer l’argent et bosser pour créer une société meilleure, se leurrent. Et ceux qui disent avoir un moi psychique sain sont des menteurs !