Festival de Cannes: Quand Luchini se demandait ce qu'il faisait dans «Ma Loute»
COMPETITION•Ce que Fabrice Luchini pense de «Ma Loute», présenté vendredi en compétition au Festival de Cannes? Tout est dans son livre, paru le 2 mars…Annabelle Laurent
Unebande-annonce un peu dingue, un Fabrice Luchini et une Juliette Binoche grimés en grands bourgeois Lillois décadents, la lumière presque surréaliste de la Côte d’Opale chère au réalisateur et une parenté évidente avec le P’tit Quinquin, sa série déjantée diffusée sur Arte l'an dernier: on se demande bien ce que nous réserve Bruno Dumont avec Ma Loute, présenté ce vendredi en compétition au Festival de Cannes.
En août dernier, c’est Fabrice Luchini qui se demandait bien ce qu’il faisait là, avec un réalisateur pas facile, dans un lieu pas facile, sur un rôle pas facile. C’est en tout cas ce qu’il raconte dans son livre Comédie française, ça a débuté comme ça (Flammarion), un succès en librairie depuis sa parution le 2 marsdernier.
Il y livre par petites touches un carnet de tournage écrit en août dernier à Ambleteuse (Nord Pas-de-Calais), depuis sa caravane, ce «matériau substantiel d’un tournage de film» où l’on attend tout le temps: «On attend la pluie, on attend la fin du dernier plan. Attente.» Inutile de paraphraser Luchini, qui parle très bien de ses impressions de tournage comme de ce metteur «froid et distant» doté même d'une «haine de l'être», mais qu’il juge finalement «seul responsable de sa métamorphose» dans un film «ahurissant». En voici donc les meilleurs passages.
Ce qu’il dit de son rôle…
Fabrice Luchini était le premier choix de Bruno Dumont pour le rôle d’André Van Peteghem, a assuré le réalisateur. De son côté, Luchini écrit le 7 septembre 2015:
«Qu’est-ce qui m’a poussé à accepter un rôle que je ne comprends pas? Son intégrité, sa dimension poétique, sa particularité qui me donnent la sensation que je vais échapper à la compétition des entrées.»
Ce qu’il dit de Bruno Dumont…
Au troisième jour du tournage, le 26 août: «Inconfortable, plutôt assez malheureux. Le metteur en scène d’abord. Froid. Distant.
Incroyable d’être aussi peu dans le relationnel, pas dans le rapport à un point que ça devient suspect. Je m’en fous. Il y a chez lui une haine de l’être et une passion de la composition.
Toute mon énergie d’acteur va vers la recherche d’une note musicale ou d’une nuance. Toute sa recherche vers la haine du naturalisme.»
Le 7 septembre : «Il pousse le jeu. Il n’aime pas les nuances. Il n’aime pas le naturalisme. Ce qu’il appelle le naturalisme est ce que je suis tenté d’appeler la "justesse"».
Le 25 septembre : «Je termine ce film. Abasourdi et sidéré par la puissance de la psyché dans ces affaires de tournage.
Dumont est obsédé par l’objectivation. Il n’a jamais manifesté le moindre enthousiasme à la fin des prises, comme un super psychiatre qui épouserait le concept de neutralité en évacuant la bienveillance».
Ce qu’il dit de Valeria Bruni-Tedeschi
«Découverte de Valeria Bruni-Tedeschi. Drôle. Dense. Une douleur qui invente plein d’heureux stratagèmes pour supporter la vie».
… et de Juliette Binoche
«Arrivée de Juliette Binoche, élégante, directe, hyper professionnelle. Pas encore joué avec elle, je pressens une vraie camarade de jeu…»
Ce que lui inspire le Nord...
Dans son livre, Luchini raconte ses vacances à Paros début août, avec Alain Finkielkraut, son ami depuis plus de vingt ans… Quand il débarque sur le tournage fin août, le choc thermique est grand.
Le 9 septembre 2015: «Je me dirigeais vers le lieu de la scène: j’ai osé une question: "T’as toujours vécu dans ce coin?" (Côte d’Opale, Ambleteuse). Réponse de Dumont: "C’est ce qu’il y a de plus beau au monde."
Je tente de lui parler des Cyclades. Paros. Pas emballé. Il affirme qu’ici, c’est plus que beau, c’est vrai. Comme les habitants. Pas emballé du tout sur ma proposition des Cyclades le Bruno Dumont».