«Mon maître d'école»: «Les enseignants sont des héros de la vie ordinaire»
INTERVIEW CROISEE•Dans un documentaire en salle ce mercredi, Emilie Thérond suit la dernière année d'exercice de son ancien maître, Jean-Michel Burel...Propos recueillis par Delphine Bancaud
Un documentaire émouvant qui va susciter des vocations. Dans Mon maître d’école qui sort ce mercredi, la réalisatrice, Emilie Thérond suit la dernière année d’exercice de Jean-Michel Burel, son ancien maître d’école à Saint-Just-et-Vacquières (Gard). 20 Minutes a interrogé ce tandem étonnant.
Ce film semble avoir germé sans que vous ayez l’assurance de son devenir. Pourquoi était-il si important pour vous ?
Emilie Thérond : J’ai rendu visite à mon instituteur, Jean-Michel Burel. Quand j’ai appris qu’il allait prendre sa retraite, j’ai su que je ne pouvais pas le laisser partir sans garder une trace de tout ce qu’il m’avait donné. J’ai réalisé qu’il avait influencé ma vie d’adulte. J’ai commencé à tourner alors que je n’avais pas encore de producteur, ni de diffuseur*.
En quoi ce documentaire très personnel a-t-il quelque chose d’universel ?
Emilie Thérond : Il parle d’enfance et de transmission. Il rappelle l’odeur de la craie et des cahiers neufs, ce qui fera remonter des souvenirs aux spectateurs. Cet hommage à mon instituteur a aussi quelque chose d’universel, car chaque adulte que je croise se souvient d’un enseignant qui a changé sa vie et à qui il souhaiterait dire merci. Même Albert Camus, lorsqu’il a reçu son prix Nobel de littérature, a écrit à son instituteur.
La plupart des documentaires sur l’école en donnent une vision pessimiste. Aviez-vous conscience de prendre un parti pris aussi positif sur elle ?
Emilie Thérond : Oui, en faisant ce documentaire, je voulais mettre en avant ce métier que je trouve formidable. Les enseignants qui transmettent le savoir ont une responsabilité énorme, qui n’est pas toujours très reconnue. Ce sont des héros de la vie ordinaire qui donnent beaucoup d’eux-mêmes. J’aimerais que ce film donne envie à des jeunes de devenir profs. Quant aux enseignants, ils pourraient reprendre certaines pratiques de Jean-Michel Burel, comme la boîte à questions ou le texte libre.
Jean-Michel Burel : Mais je ne veux pas donner de leçon ! Je dirais seulement aux jeunes qu’il ne faut surtout pas hésiter à devenir enseignant. C’est le plus beau métier du monde.
Vous montrez une école ouverte, où les enfants peuvent venir en dehors des heures de classe, qui reçoit les anciens élèves… N’est-ce pas un modèle en voie de disparition ?
Emilie Thérond : Oui, ce type d’écoles n’existe plus beaucoup, sauf dans quelques villages de campagne. Les élèves font du sport dans la nature, ils viennent à l’école en dehors des heures de classe, comme dans une deuxième maison. Et Monsieur Burel jouit d’une grande liberté dans l’exercice de son métier.
Jean-Michel Burel : J’ai toujours privilégié une pédagogie libertaire. Je pense que c’est à l’école de la vie, au contact avec la nature ou les gens, qu’on apprend le mieux. Mes pratiques n’ont pas toujours été très académiques, mais j’ai bénéficié du fait que les parents de mes élèves m’ont fait confiance, car ils m’avaient eu comme prof avant !
En quoi la méthode du Jean-Michel Burel est-elle efficace avec les élèves en difficulté ?
Emilie Thérond : Son principe de base, c’est de dédramatiser l’école. Il veut que ses élèves aillent en classe avec plaisir, qu’ils aient confiance en eux. Avec l’un des élèves dyslexiques qui apparaît dans le documentaire, il cherche à l’encourager, à le pousser à faire ce qu’il peut, sans pression. Le maître refuse de mettre les enfants dans des cases, les « bons » ou les « mauvais » élèves. Il sait que des déclics peuvent avoir lieu d’une année sur l’autre.
Jean-Michel Burel : Un élève qui marche très bien à l’école n’a presque pas besoin d’un maître. On est surtout là pour les élèves en difficulté. Il faut toujours les encourager et ne jamais porter sur eux de jugement définitif. Car ils sont en constante évolution. Lorsqu’ils ne comprennent pas une leçon, il faut revenir dessus plusieurs fois. La pédagogie, c’est un éternel recommencement !
Le film évoque aussi la retraite, petite mort pour certains profs. Un thème rarement abordé au cinéma…
Emilie Thérond : Oui, on ressent bien le déchirement de Jean-Michel Burel de quitter le métier qu’il aime. Je savais que ce serait forcément fort de filmer ce moment clé de sa vie.
Jean-Michel Burel : Le tournage m’a d’ailleurs aidé à passer le cap. Car ce n’est pas simple de mettre fin à 40 années de passion. Heureusement, mes fonctions de maire me permettent de revoir les enfants souvent. La cassure n’a pas été trop brutale.
Souhaitez-vous que ce film devienne aussi un outil pédagogique pour les enseignants ?
Emilie Thérond : Pourquoi pas. J’aimerais que les enseignants emmènent leurs élèves le voir au cinéma. Ce serait l’occasion de parler en classe de l’école rurale, du choix d’un métier, de la pédagogie…
Monsieur Burel, avez-vous conscience d’avoir changé la vie de certains de vos élèves ?
Jean-Michel Burel : Je ne pensais pas que cela pouvait aller jusqu’à là. Mais quand certains me le disent, ça me fait plaisir. Je croise souvent des anciens élèves dans des fêtes de village. Ils viennent toujours me voir et je me souviens de chacun d’eux. Aucun n’a mal tourné et j’en suis fier.
* Au final, il sera produit par François-Xavier Demaison, Amaury Fournial et Maud Leclair et distribué par The Walt Disney Company France et Upside distribution.