CINEMAVIDEO. L'interdiction de «Saw3D» aux mineurs fait peur au cinéma d'horreur

VIDEO. L'interdiction de «Saw3D» aux mineurs fait peur au cinéma d'horreur

CINEMALa décision du Conseil d’Etat laisse craindre un durcissement de la censure. Si certains amateurs de cinéma de genre s’en inquiètent, d’autres semblent s’en accommoder…
Stéphane Leblanc

Stéphane Leblanc

Que faut-il craindre de la décision du Conseil d’Etat de retirer son visa d’exploitation au film gore Saw 3D ? Cette production qui avait rassemblé 560.000 spectateurs il y a cinq ans ne risque plus grand-chose, sinon un coup d’arrêt de ses ventes en vidéo.



« Cette décision est plus inquiétante qu’elle n’y paraît », prévient pourtant Christophe Triollet, auteur du livre Le Contrôle cinématographique en France - Quand le sexe, la violence et la religion font encore débat (L’Harmattan).

L’acteur Tobin Bell parle de sa performance dans « Saw 3D »

Que signifie cette interdiction ?

Christophe Triollet est juriste et son inquiétude est d’abord juridique. « C’est la première fois qu’une telle décision est prise par le Conseil d’Etat. De plus, il contredit le tribunal administratif et la cour administrative d’appel. Cela fera jurisprudencie », estime-t-il. Les dernières affaires (Nymphomaniac, par exemple) concernaient de simples ordonnances de référé, rendues par un juge seul et dans l’urgence, au niveau du tribunal administratif.

Cette fois, c’est différent: « Le Conseil d’Etat annonce le grand retour des films d’horreur interdits aux moins de 18 ans, lance le juriste. Ou plutôt… la fin progressive des films d’horreur un peu trop gore ou un peu trop violents en salles et collatéralement, la mort définitive de ce type de productions déjà rares, en France. »

Quels sont les précédents ?

L’interdiction de Saw 3D aux moins de 18 ans est le résultat d’un long combat mené par l’association Promouvoir, qui s’est pourvue en cassation après avoir été déboutée une première fois par le tribunal administratif, puis en appel.

Sa première victoire remonte à 1999 avec l’interdiction aux moins de 18 ans de Baise-moi, une première depuis 1981 pour un film non officiellement classé X. Rebelote en 2008, avec Quand l’embryon part braconner, du Japonais Koji Wakamatsu. Et dix de der en 2014 quand, à l’issue d’un référé, l'âge requis pour voir les deux volumes de Nymphomaniac, de Lars von Trier, passe de 12 à 16 ans pour le premier et de 16 à 18 ans pour le second.

Promouvoir s’est aussi attaqué à Antichrist, en 1999, et cette année à La Vie d’Adèle, et à 50 nuances de grey, sans succès. « Autrefois, les juges des référés donnaient presque toujours raison à la Commission de classification », rappelle Christophe Triollet.

Observe-t-on un durcissement des critères de classification des films ?

« Les recours systématiques de l’association Promouvoir contribuent à fragiliser la commission », estime le juriste. Composée de professionnels du cinéma, de spécialistes de l’enfance, de représentants de la famille, de jeunes et de médecins, elle dit prendre en compte « l'invraisemblance et l’aspect peu réaliste de certaines scènes, l’humour qui introduit la distance, un spectacle volontairement grand-guignolesque, ce qui est d’évidence parodique ou relève manifestement du conte ou de la fable » pour déterminer un niveau de restriction et attribuer un visa d’exploitation.

« Se sachant à la merci de procédures répétées, les tenants de la classification risquent de s’autocensurer », craint Christophe Triollet. Et ça discute souvent ferme au sein de la commission entre ceux qui prônent une interdiction a minima pour assurer la sortie d’un film et ceux qui préfèrent une interdiction immédiate plus élevée pour ne pas risquer d’être déjugés.

Quelles conséquences sur les films à venir ?

Saw 3D comporterait des scènes de « très grande violence », selon le Conseil d’Etat. A distinguer des scènes de « grande violence » qui, jusqu’à présent, justifient une interdiction aux moins de 16 ans. C’est la limite ténue qui sépare les films susceptibles de sortir en salle de ceux qui sont condamnés à sortir directement en vidéo, puisqu’il n’existe pas de salles pour les accueillir. Certains professionnels s’en inquiètent, comme Christophe Ruggia, membre de la Société des réalisateurs de films (SRF), qui, dans Le Monde, se demande « ce qu’il va se passer quand un nouveau Taxi Driver sortira en salles ».

D’autres sont plus sereins : pour la sortie de Love, son film pornographique en 3D, Gaspar Noé, sans doute influencé par son producteur Wild Bunch, qui avait déjà sorti Welcome to New York directement en vidéo l’an dernier, raconte en privé qu’il mise sur l’inévitable buzz que susciterait une éventuelle interdiction aux moins de 18 ans.



« Une telle décision lui interdirait toute possibilité de sortie en salles, commente Christophe Triollet. Mais de toute façon, même interdit aux moins de 16 ans, j’imagine mal des salles de multiplexes l’accueillir pour des projections avec des lunettes en 3D. »