«A aucun moment je me suis dit que "La Vie d’Adèle" était trop cliché»
INTERVIEW – Pascale Ourbih, la présidente du festival du film LGBT Chéries-chéris, dont la 19e édition débute ce mardi soir au Forum des images de Paris, estime qu'il y aura un avant et un après «La vie d'Adèle»...Anaëlle Grondin
Du 15 au 20 octobre, le Forum des Images de Paris ouvre ses portes à Chéries-Chéris. Le festival défend le cinéma LGBT avec une sélection de films variée et «exigeante», selon sa présidente Pascale Ourbih. Entretien.
«Bambi», «L’Inconnu du lac», «La Vie d’Adele»… Les films mettant en scène des gays, lesbiennes et transsexuels se sont multipliés sur le grand écran cette année. On peut dire que le genre commence à devenir «mainstream»?
Je suis très contente que des films comme ça sur la communauté LGBT puissent intéresser le grand public. C’est une très bonne nouvelle. Pour moi la société est en train de s’ouvrir. On sort d’une ère où c’étaient des films réservés aux personnes concernées uniquement, les gays et lesbiennes.
Pourtant, «La Vie d’Adèle» par exemple, était rarement présenté directement comme «un film lesbien», à la fois par l’équipe mais aussi par la presse. On a l’impression que ce n’est pas complètement assumé. Peut-être pour ne pas faire fuir le grand public…
J’ai remarqué aussi qu’on abordait le sujet de manière très timide. Par moments l’histoire d’amour entre deux filles n’est pas soulignée. C’est un reflet de la société: les gens sont ouverts mais il ne faut pas trop cloisonner. C’est dommage qu’on ne dise pas les choses. C’est aussi la force du film.
Qu’avez-vous pensé de «La vie d’Adèle», qui est loin de plaire à tous les spectateurs malgré les critiques presse élogieuses?
Cinématographiquement parlant, je trouve juste que le film ait remporté la Palme d’or au Festival de Cannes. Il a toutes les qualités, c’est émotionnellement énorme. J’ai été transportée pendant trois heures. Dans la salle à Cannes les gens étaient émus, tout le monde n’était pourtant pas concerné et ne pouvait pas se projeter. C’est la passion qui est filmée, plus que «comment une femme doit aimer une femme».
Est-ce que les scènes intimes de «La vie d’Adèle» vous paraissent réalistes?
Oui, je trouve que c’est complètement réaliste. A aucun moment je ne me suis dit que c’était trop cliché. Abdellatif Kechiche a fait son boulot de réalisateur avec des personnes qui connaissent bien le sujet.
Est-ce qu’il faut être gay ou lesbienne pour pouvoir faire le film le plus réussi sur le sujet?
On me pose souvent cette question, en fait. Et ça me choque. Si on se documente bien, si on est bien entouré, on peut aborder la question en étant fidèle à qu’il se passe dans la réalité, en lui donnant une forme cinématographique personnelle. Il y a beaucoup de navets faits par des personnes LGBT et beaucoup de films réussis par des hétéros. Ce n’est pas là qu’on juge un film. On juge sur l’émotion qui se dégage. Si on veut raconter une histoire forte, intime, il vaut mieux évidemment qu’elle ressemble à quelque chose de réel. Je pense que Kechiche dérange pour ça: il a fait une œuvre magistrale sur un sujet qui ne le concerne pas.
Est-ce que le très médiatisé film d’Abdellatif Kechiche va avoir un impact selon vous sur le cinéma LGBT?
Je pense qu’on ne filmera plus dans le cinéma français les scènes lesbiennes de la même façon. Kechiche est allé un peu plus loin que ce que l’on montre d’habitude. Il est allé dans ce qu’il y a de plus intime (pas seulement sexuel), il a fait une œuvre exigeante. Les autres réalisateurs devront donner un peu plus maintenant.