TECHLe monde de la tech vit-il sa révolution syndicale ?

Grève du 7 mars : Dans le secteur de la tech, la poussée des syndicats et collectifs politiques

TECHDes développeurs aux ingénieurs en passant par le jeu vidéo, le secteur de la tech n’est pas forcément connu pour sa politisation. La lutte contre la réforme des retraites donne un nouveau souffle aux mouvements syndicaux.
Pauline Ferrari

Pauline Ferrari

En cette journée de grève, les cortèges se pressent dans les rues pour protester contre le projet de loi de réforme du système de retraites. Parmi les manifestants, des travailleurs et travailleuses de tous les secteurs… Dont la tech, souvent grand oublié des luttes sociales. La grande famille des métiers liés aux nouvelles technologies regroupe des métiers et réalités bien différentes, du côté des développeurs ou bien dans le milieu du jeu vidéo. Un point commun : le fait d’être un secteur où la syndicalisation est faible. Pourtant, depuis les manifestations contre la loi Travail de 2016, de nouvelles formes d’engagement naissent dans les industries de la tech.

C’est notamment le cas dans le jeu vidéo, avec la création du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo (STJV) en 2017. « C’est parti de différents groupes de personnes qui se sont mis en relation et qui ont réalisé le besoin de se défendre dans le jeu vidéo, encore plus qu’avant » explique Antoine, un de ses membres. Le syndicat se veut indépendant, pour répondre au mieux aux besoins spécifiques du secteur. « La tech est un secteur très soumis au marché capitaliste, on parle de souffrance au travail lié à un rythme intensif, de consignes contradictoires, de risques de violences psychosociales… » ajoute Marie, membre du STJV. Plus récemment, en 2019, c’est du côté des développeurs et autres métiers de la tech que s’est créée le collectif On est la tech, dont l’appel a réuni près de 3.000 signataires. « On voulait que les gens sortent dans la rue, se rencontrent, s’organisent avec des gens qui ne viennent pas toujours du secteur » détaille Kévin, membre du collectif. Le projet de loi de réforme des retraites a alors été une nouvelle occasion pour les syndicats et collectifs de se mobiliser.

Un secteur peu syndiqué

Historiquement, le secteur de la tech n’est pas le plus habitué des manifestations et des piquets de grève. « La tech est traditionnellement assez peu politisée et syndiquée. Il y a une double image : d’une part la tradition liée à une philosophie libertaire et au développement du logiciel libre ; mais surtout une culture entrepreneuriale, façon start-up nation » résume Kévin. Du côté de l’industrie vidéoludique, « c’est un milieu très peu politisé, qui n’a pas forcément connu les syndicats » pointe Antoine du STJV. D’autant que la démographie du secteur est différente : les travailleurs et travailleuses de la tech sont souvent jeunes. « Il y a beaucoup de turn-over, les gens partent d’épuisement, et n’ont pas connu tout l’élan de certaines mobilisations sociales. Et puis on a une particularité dans le secteur du jeu vidéo, c’est la présence de beaucoup de personnes queer, qui luttent et sont politisées, ce qui crée une vraie émulation dans ce secteur » rajoute Marie.

D’autant que si les syndicats existent dans la tech, ils ont longtemps eu une mauvaise image : la culture d’entreprise des start-up ou autres studios de jeu vidéo se base souvent sur une idée de « grande famille », où les rapports sont détendus, ce qui rend plus complexe la confrontation au patronat. « Et il y a aussi plein de gens qui se sentent plus proches d’un milliardaire de la Silicon Valley que d’un travailleur » ironise Kévin. Le secteur de la tech est aussi marqué par la présence de beaucoup de travailleurs indépendants, habitués à l’auto-entrepreneuriat. Mais surtout, pendant longtemps, la tech était vue comme un eldorado professionnel. « C’est très lié aussi au fonctionnement de l’industrie : jusqu’à il y a peu, c’était le plein-emploi total, nous étions des profils très recherchés et bien payés » détaille Kévin. Mais le vent tourne dans la Silicon Valley : Google, Meta, Twitter, Microsoft ou encore Spotify licencient largement… Ce qui pousse les travailleurs et travailleuses à se rapprocher des syndicats et collectifs de lutte.

Apprendre à faire grève

Depuis plusieurs mois, le STJV et On est la tech multiplient les initiatives pour « faire comprendre qu’on serait aussi touchés par la réforme des retraites », comme l’explique Kévin, et essayer de convaincre leurs collègues de descendre dans la rue. « Ce sont des secteurs où il n’y a pas une tradition de grève, donc il faut rappeler le droit du travail, et faire de la pédagogie sur comment fonctionne la grève » ajoute-t-il. Du côté du STJV, « on essaye de faire réaliser aux gens qu’ils auront une retraite, et que si les débuts de carrière sont très hachés ou qu’on enchaîne des périodes de chômage, on va partir tard, et ça commence à piquer » rappelle Antoine. En somme, recontextualiser et repolitiser. « C’est un travail de fond qu’on fait : c’est quoi une manifestation, c’est quoi une grève, comment ça fonctionne… On a beaucoup de premières fois, de premières banderoles » ajoute Marie.

Dans ces syndicats ou collectifs de la tech, le but est de montrer qu’il y a des façons concrètes de lutter pour leurs droits, mais aussi de faire des ponts avec d’autres organisations. « Quand on a lancé le collectif, on avait beaucoup de développeurs avec des compétences, et on a créé un groupe de travail pour se mettre au service d’autres organisations » lance Kévin. Depuis, On est la tech organise des rendez-vous pré-manifestation (pour ne pas marcher seul), des assemblées pour s’organiser. « On veut faire franchir le pas d’aller dans la rue et de créer un lien avec d’autres gens ». Si la date du 7 mars était tant attendue, Kévin rappelle que leur combat continuera le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, notamment pour mettre en avant les luttes féministes et la question de la féminisation des métiers de la tech.