YouTube : Dans quels cas la plateforme décide-t-elle de sanctionner les vidéastes visés par des enquêtes ?
accusations•Plusieurs chaînes de YouTubeurs, visés par des enquêtes, ont été démonétisées ces dernières années, tandis que d’autres continuent de générer des revenus avec leurs vidéosManon Aublanc
L'essentiel
- Norman Thavaud, alias Norman fait des vidéos, est visé par une enquête pour viol et corruption de mineurs, après les plaintes de six jeunes femmes. Placé en garde à vue le 5 décembre, il est ressorti libre le lendemain, sans poursuites à ce stade, mais l’enquête continue.
- Le 11 décembre, YouTube a pourtant décidé de démonétiser sa chaîne, suivie par 12 millions de personnes, pour « une durée indéterminée ».
- En cas de comportements « considérés comme inappropriés », même en dehors de la plateforme, YouTube prévoit un arsenal de sanctions.
Si Norman Thavaud est ressorti libre de sa garde à vue, le 6 décembre, « sans poursuites à ce stade », l’enquête pour viol et corruption de mineurs le concernant se poursuit, a fait savoir le parquet de Paris. Devenu célèbre à coups de vidéos humoristiques, le vidéaste aux 12 millions d’abonnés est visé par les plaintes de six de jeunes femmes, dont certaines étaient mineures au moment des faits qu’elles dénoncent. La justice a pris les choses en main, mais YouTube aussi.
Dimanche, la plateforme a annoncé qu’elle démonétisait la chaîne du vidéaste, qui totalise 2,7 milliards de vues sur YouTube. En d’autres termes, ses contenus restent en ligne, mais Norman Thavaud est désormais privé des publicités générant des revenus. Cette sanction, prise « pour une durée indéterminée à ce stade, pourra être revue », a ajouté un porte-parole de la plateforme.
ExperimentBoy et MarvelFitness démonétisés
Car il faut dire que l’équation n’est pas si simple pour YouTube. D’abord, parce que les faits reprochés à Norman Thavaud se seraient déroulés en dehors de la plateforme. Ensuite, parce qu’il n’a pas été condamné par la justice à ce jour, il est donc toujours présumé innocent. Si la plateforme conseille d’abord aux victimes « de se manifester auprès des autorités policières ou judiciaires compétentes », elle peut aller plus loin.
Dans les faits les plus graves, qu’elle qualifie de comportements « considérés comme inappropriés » en dehors de la plateforme, YouTube peut démonétiser une chaîne, comme c’est le cas pour l’humoriste, mais aussi la retirer des algorithmes de recommandations ou de l’onglet « tendances » pour réduire sa visibilité. En dernier lieu, le site peut également choisir de fermer un compte de manière définitive et irrémédiable. Mais de quels comportements en dehors du site parle-t-on ? Selon le règlement de YouTube, il s’agit d’une « intention malveillante de causer un préjudice à autrui » ou d’une « participation à des actes abusifs, violents ou cruels, ou à des activités frauduleuses/trompeuses entraînant des dommages réels ».
Et certains YouTubeurs ont déjà été sanctionnés par la plateforme. En 2020, la plateforme a décidé de démonétiser la chaîne du vidéaste ExperimentBoy, après l’ouverture d’une enquête pour corruption de mineurs par le parquet de Lyon. Baptiste Mortier-Dumont, de son vrai nom, est connu du jeune public pour ses pastilles décalées sur la science. Il est accusé d’avoir profité de sa notoriété pour faire des avances à de jeunes adolescents, dont cinq étaient mineurs au moment des faits. C’est aussi le cas de la chaîne de MarvelFitness depuis 2021. La même année, ce YouTubeur, spécialiste des contenus sportifs, a été condamné en appel à deux ans de prison, dont vingt-deux mois avec sursis, pour harcèlement. Il avait été attaqué en justice par d’autres influenceurs, qui lui reprochaient d’avoir organisé des raids numériques contre eux.
Pas de critères précis, mais une analyse générale
Mais de leurs côtés, d’autres vidéastes, eux aussi sous le feu d’une enquête, n’ont pas été sanctionnés. A l’image de Léo Grasset, alias DirtyBiology, accusé par deux femmes de viol et de harcèlement sexuel. Deux enquêtes ont été ouvertes à Paris et à Lyon contre le jeune homme, spécialiste de la vulgarisation scientifique avec ses 1,2 million d’abonnés, pour des faits survenus en 2016. Pourtant, YouTube n’a pas décidé - à notre connaissance - de démonétiser sa chaîne. Le vidéaste de 33 ans continue donc de générer des revenus avec ses contenus.
Mais alors comment la plateforme prend-elle ses décisions ? Selon nos informations, une équipe interne est dédiée à ce processus. En cas de comportements inappropriés en dehors de la plateforme, une enquête est lancée pour déterminer s’il y a lieu de prendre des mesures complémentaires. Il n’y a pas de critères à remplir, affirme l’entreprise, mais plutôt une « analyse générale de la situation ». D’autant que la plateforme, qui affirme ne pas se substituer à l’enquête judiciaire, ne se concentre pas forcément sur le temps médiatique. L’idée n’est pas de réagir en urgence, affirme-t-on chez YouTube, rappelant que ces décisions ne doivent pas être prises à la légère.
L’équation est un peu plus simple pour les contenus inappropriés publiés sur la plateforme. En cas d’incitation à la haine, de harcèlement sexuel ou de cyberharcèlement, YouTube prévoit la suppression de la vidéo ou du commentaire et peut aller jusqu’à la fermeture de la chaîne. C’est ce que s’est passé pour Dieudonné. Dénonçant des discours haineux, YouTube a définitivement clôturé le compte du polémiste en juin 2020, après des mises en garde répétées. Une semaine plus tard, ce sont les deux chaînes d’Alain Soral - « ERTV Officiel », qui portait l’acronyme de son site « Egalité et réconciliation » et « ERTV International » – qui ont été clôturées pour les mêmes raisons.
Notre dossier sur youtubeEt les deux polémistes ne pourront pas se recréer leur chaîne, ni une chaîne d’un autre nom. Une fois le compte fermé, la décision est définitive, affirme YouTube. A titre d’exemple, entre juillet et septembre 2022, YouTube a retiré 5,6 millions de vidéos et supprimé plus de cinq millions de chaînes. Du côté des commentaires, 737 millions d’entre eux ont été effacés cette année au troisième trimestre.
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